Ex-Directrice des Nouveaux Médias au sein de la Fédération Française de Football (2002-2012), première femme en charge du développement de la pratique du football par les filles à la FFF (1975-1998) et Présidente du F.C. Vendenheim (D1 féminine football) en 2013, Dominique Crochu est un personnage incontournable du football français. Mais surtout, ne lui parlez pas de « football féminin ».
Propos recueillis par Camille Journet
Dominique Crochu, parmi vos combats, vous militez contre le terme « football féminin ». Pourquoi ?
Tout le monde ne pense pas comme cela, mais ce qui m’intéresse, c’est de contribuer à faire évoluer les choses. On parle de football féminin, mais on ne dit jamais football masculin ! Alors j’y tiens beaucoup. Parlons des compétitions féminines ou de l’équipe de France féminine. Mais une fois que l’on sait que l’on est dans le football, le handball ou le basket-ball, on n’a pas besoin de préciser homme ou femme. Le sport n’a pas de sexe.
Quel est votre regard sur l’évolution de l’équipe de France féminine au cours des dernières années, notamment depuis l’engouement du Mondial 2011 ?
En 2011, pour la première fois, on a vu des matchs en clair à la télévision. La performance et la qualité de jeu des Bleues ont fait le reste. L’engouement du public a été très grand. C’est la première fois qu’une équipe féminine arrivait aussi loin dans une compétition (ndlr, en demi-finale). C’était fantastique. Et depuis, il y a eu une très bonne performance aux JO 2012 (ndlr, demi-finale à nouveau). Dans n’importe quel sport, le public n’aime pas nécessairement les filles ou les garçons. Il faut qu’il y ait de la performance, de l’enjeu et de la qualité.
Lors de la Coupe du monde 2015, les audiences ont encore grimpé avec un pic à 5,3 millions de téléspectateurs pour le dernier match des Bleues !
C’est vrai. C’était France-Allemagne, en quart de finale. En l’espace de quatre ans, entre 2011 et 2015, il y a eu une évolution. On a vu les Bleues de plus en plus et la D1 féminine et la Coupe de France ont été diffusées. C’est un effet d’entraînement.
TF1 a obtenu les droits de retransmission de la Coupe du monde 2019 qui sera organisée en France. Est-ce un grand pas dans la médiatisation du sport féminin ?
Évidemment ! Mais n’oublions pas de rendre hommage à Eurosport, qui a été la première chaîne à diffuser des rencontres de D1 féminine et de Coupe de France et qui a cru à la qualité de la pratique des filles. Ce qui compte aussi, pour en revenir à 2011, c’est que beaucoup de matchs ont été vus sur des chaînes en clair, qui ont ouvert la voie à TF1. Dans des sports tels que le handball ou le basket-ball, à part les finales de grandes compétitions, les équipes de France féminines ne sont toujours pas diffusées en clair, mais uniquement sur des chaînes payantes. De ce point de vue, le football a de la chance.
Comment estimez-vous la place des femmes dans le sport en France ?
C’est un problème global. Le sport et une branche de la société, et c’est sûrement une des branches parmi les plus en retard en la matière. Il faut tout de même savoir que depuis 1984, il y a une loi qui demande qu’à partir du moment où il y a une licence féminine dans un sport, une femme au moins doit participer au conseil de la fédération pour les représenter. Ce n’est pas cette vision-là qu’il faudrait avoir. Il faudrait, comme dans les comités de direction d’entreprises, des femmes qui représentent tous les salariés, et non pas uniquement les femmes. Il faut avoir une vue beaucoup plus large. Tant que nous n’aurons que des femmes qui représentent des femmes, le débat sera faussé. En matière de diversité et de mixité, là aussi, il faut avancer. Le sport dans sa pratique est le plus grand intégrateur de toutes les diversités et mixités car aujourd’hui, quelle que soit votre origine ou votre sexe, le club de n’importe quel sport vous intègre. Mais quand on regarde au niveau des dirigeants, on retrouve toujours un peu les mêmes profils.
Quels combats restent à mener pour les femmes dans le sport de haut niveau ?
Pour le moment on est encore beaucoup dans les premières fois. Depuis deux ans, Corinne Diacre est entraîneur de Ligue 2 et Stéphanie Frappart est arbitre de Ligue 2. Ce sont quand même des pionnières… hélas cela reste un peu une exception et je le déplore. Moi, je souhaite que d’autres femmes aient la même expérience en Ligue 1 ou en Ligue 2, car tant que l’on est dans les premières fois, on est encore loin de l’usage et de la normalité. Je ne dis pas que les femmes doivent remplacer les hommes, ça n’a aucun sens. Mais que ce soient les personnes les plus compétentes, au bon moment, qui soient choisies. On a des licenciées, des arbitres femmes, des entraîneurs femmes, mais on n’a pas encore une masse critique qui permette de faire émerger plus que quelques cas isolés. Il faut avancer.
Que faire pour que les jeunes filles soient motivées à pratiquer un sport et ne soit pas découragées par les préjugés ?
Il y a encore beaucoup à faire pour combattre les préjugés et les stéréotypes. Même si le football de filles est de plus en plus apprécié, il se trouve encore des personnes qui considèrent que le football ce n’est pas fait pour les filles. Et puis il y a le problème des infrastructures. Est-ce que les filles dans tous les sports ont les mêmes possibilités d’entraînement que les garçons ? Bien souvent ce n’est pas le cas. Les clubs ne sont pas toujours responsables, ils ont beaucoup de licenciés à gérer et des créneaux horaires tendus. Donc il faut trouver le moyen de les aider en développant les infrastructures. Le rêve, c’est qu’un enfant, garçon ou fille, quand il a 5-6 ans puisse choisir le sport dont il a envie et que l’environnement soit favorable à lui faire tout essayer. Que chacun puisse pratiquer le sport de son choix sans être influencé par le « parce que c’est un garçon ou une fille ».
Dominique Crochu en bref
Pionnière du développement de la pratique du football par les filles au sein de la Fédération de football français, Dominique Crochu est une femme de conviction et d’engagement. Première femme nommée Directrice en charge des Nouveaux Médias (2002-2012) à la FFF, dirigeante du F.C. Vendenheim, membre de l’Association Femmes du Digital Ouest et du Comité Éthique et sport, Dominique Crochu s’investit pour la place des femmes dans le sport. Son blog avenirdusport.fr, engagé pour une gouvernance des instances sportives avec plus de femmes, de diversité, et d’acteurs intergénérationnelles, en est le parfait l’exemple. Son crédo: inspirer les femmes de toutes générations à s’investir sans barrières dans le sport, et montrer qu’elles peuvent occuper toutes les fonctions.