La triple championne du monde de judo et médaillée olympique Gévrise Émane a participé à la Elle Run New Balance dimanche 15 octobre à Paris. 10km parcourus pour le dépistage et la prévention des maladies cardio-vasculaires chez les femmes. Présente sur l’événement aux côtés de son partenaire BMW, la rédaction de Women Sports a rencontré cette athlète d’exception pour qui « le sport, c’est la vie ».
Gévrise, vous avez participé à la Elle Run New Balance : une course en binôme, pour lutter contre les maladies cardio-vasculaires chez les femmes. C’est une cause qui vous tient à coeur ?
Je suis marraine de l’association Les enfants du jardin qui accompagne les jeunes atteints de maladies du métabolisme et leurs familles. Donc c’est vrai que je suis quelqu’un de très engagée. Cet engagement, je peux le faire vivre sous différentes formes, notamment participer à des courses telles que la Elle Run New Balance. Le fait que ce soit une course en binôme, dans le cadre associatif, ça permet d’avoir encore plus de solidarité et de délivrer un message fort. Et le premier des messages, c’est bien de faire du sport. Dans une société où on est de plus en plus sédentarisé, où on a une facilité d’accès à tout, c’est important de pouvoir bouger. Ça rejoint aussi mes missions de professeure de sport, c’est-à-dire véhiculer le sport pour tous, le bien-être et la santé, surtout auprès des jeunes filles, mais aussi des garçons.
Pratiquez-vous régulièrement la course à pied ?
À la base, la course à pied me sert d’échauffement pour mon workout. La Elle Run New Balance m’a donné l’occasion de faire mon premier 10 km. Je m’étais toujours dit qu’il fallait que j’en fasse un, maintenant c’est fait ! Après, est-ce que ça va me motiver pour continuer, je ne sais pas. En tout cas, c’est très plaisant et ça montre aussi mon niveau de forme actuel : 10 km en moins d’une heure, en 58 min 47 très exactement, alors que j’étais partie sur 1h10, c’est pas si mal !
Quels sports pratiquez-vous pour garder la forme ?
Je fais encore un peu de judo, notamment dans le cadre de mes missions d’entraîneur national cadet. Je me dois de rester le plus proche possible de l’activité pour être à même de démontrer, d’analyser et de passer des messages auprès des jeunes. J’aime bien la boxe aussi, le squash et tout ce qui est cross-training. Tout ce qui permet de bouger, de se détendre et s’amuser. J’essaie d’en faire minimum trois fois par semaine. Même si chacun à un emploi du temps chargé, c’est important de se fixer des échéances sportives ; ça vient casser le rythme de la semaine, ça permet d’évacuer le stress et la frustration. Et de se faire du bien surtout ! Parce que la priorité, c’est de se faire du bien psychologiquement et physiquement. C’est important pour notre santé. Plus j’avance – je n’ai pas dit plus de vieillis (rires) – et plus je me dis que c’est vraiment important d’être en bonne santé, ça nous préserve de beaucoup de choses et notamment de la maladie.
Petite, pourquoi avoir choisi le judo ?
C’est un petit peu un hasard parce que j’ai commencé le judo à l’âge de 13 ans. C’est tard. La plupart de mes collègues ont commencé très jeune, vers 5-6 ans. Ce qui m’a plu de prime abord, c’est la convivialité et l’esprit d’équipe qui existe malgré tout dans ce sport pourtant individuel. Parce que quand j’ai commencé au collège, on faisait beaucoup de compétitions par équipes. Ensuite, j’ai accroché. Le fait d’avoir une ceinture inférieure à quelqu’un et d’être en capacité de le battre, c’est quelque chose qui m’a toujours plu en fait. Et de battre les garçons aussi ! (ndlr : jusqu’à un certain âge le judo est mixte).
« Sans remise en question, je ne vois pas comment le sportif de haut niveau peut progresser » – Gévrise Émane
Quelles sont les qualités physiques et mentales requises pour faire du judo ?
Le judo c’est un sport qui regroupe les trois filière énergétiques : il faut être rapide et explosif (anaérobie alactique), capable de résister aux assauts de son adversaire (anaérobie lactique) et endurant (aérobie). Une compétition de judo dure longtemps ; il y a plusieurs combats et il faut répéter un certain nombre d’assauts, de techniques sur un temps de 4 minutes. Il faut aussi être dotée d’une intelligence situationnelle. Mentalement, il faut pouvoir se dépasser, aller au-delà de ses limites. Le dépassement est une qualité mentale nécessaire dans tous les sports d’ailleurs. La remise en question aussi.
Il y a beaucoup des remises en question pour un sportif de haut niveau ?
Enormément. Pour vous dire la vérité, sans remise en question, je ne vois pas comment le sportif de haut-niveau peut progresser. Même si on gagne, il faut se remettre en question. Il faut être en mesure de rééditer ses exploits, de rééditer la gagne. Il faut se poser des questions, analyser pourquoi ça a fonctionné et qu’est-ce qu’il faudra mettre en place demain pour que ça fonctionne à nouveau, en prenant en compte les différentes interférences qui vont agir.
Quel est votre plus beau souvenir de carrière et pourquoi ?
Waouh… Il y en a beaucoup ! Je vais dire mon premier titre de championne du monde. C’était à Rio en 2007. C’est bizarre parce que je m’attendais à ce niveau là, mais j’ai été à la fois surprise de ce que j’étais capable de mettre en place au niveau de la concentration, de l’intensité et du rythme que j’ai mis dans mes combats tout au long de la journée. Je pense que c’est après ce premier titre que j’ai commencé à comprendre certaines choses, notamment dans le judo de haut-niveau. Ça a été le premier grand tournant de ma carrière. J’ai également de très bons souvenirs de victoires par équipes avec mon club de Levalllois Sporting Club Judo et aux championnats du monde par équipes à Paris en 2006 et en 2011. En 2011, on avait fait le doublé avec les garçons, à la maison, à Bercy (aujourd’hui AccorHotels Arena). C’était tout simplement magique.
Quel sportif ou quelle sportive admirez-vous tout particulièrement ?
C’est compliqué d’en choisir un ! Je vais quand même dire Serena Williams pour sa force de caractère tout simplement énorme et sa longévité qui force le respect. Elle a réussi à s’imposer sur la scène mondiale sportive malgré les critiques et les attaques sur son physique. Elle a toujours tenu la dragée haute à ses adversaires. Non seulement c’est une très très grande sportive mais c’est aussi une très grande femme.
Plus dur pour une femme de s’imposer dans le monde du sport…
On est encore loin de nos homologues masculins, c’est sûr. Malgré tout, il faut souligner que beaucoup de choses sont mises en place pour améliorer la place des femmes dans le sport, notamment au niveau de la médiatisation. On l’a encore vu récemment avec le rugby féminin, suivi par des millions de téléspectateurs. J’espère que la Coupe du monde de football 2019 en France connaîtra le même succès, mais je n’en doute pas. Au niveau des instances sportives, nous avons une ministre des Sports qui est Laura Flessel. C’est une bonne chose. Il faut que ça ouvre la voie à d’autres instances. Des femmes à des hauts postes, il n’y en a pas énormément. Ça montre aussi la difficulté pour elles d’accéder à des hautes fonctions. Mais on y travaille !
Pour finir, un petit mot sur les JO de Paris 2024 ?
Le plus dur reste à faire. À nous de faire en sorte que les JO 2024 entrent dans l’histoire, et de manière positive : c’est-à-dire des Jeux à taille humaine, prenant en compte les volets social et environnemental. Déjà, la ministre des Sports a annoncé 80 médailles pour la France, il va falloir travailler là-dessus. Mais aussi et surtout, il va falloir être capable, derrière, de capitaliser sur ce qui va rester après 2024. C’est justement sur ça que l’on est attendu. Et je m’inclus dedans parce que c’est un projet que j’ai porté comme beaucoup de sportifs et de Français. Il y a un vrai travail à faire pour que les constructions qui vont être faites puissent derrière servir au plus grand nombre. Par exemple, il y a des projets de village olympique et de village des médias à Saint-Denis et en Seine-Saint-Denis. Le but est que ces logements qui vont être créés contribuent à pallier au manque d’habitations qui existe actuellement sur cette zone et permettent par la suite à des gens d’être relogés. C’est à nous de faire en sorte que ce soient des Jeux réussis, mais des Jeux réussis sur tous les plans, pas seulement sur le plan sportif.
Gévrise Émane, en bref
Née au Cameroun en 1982, Gévrise Émane grandit à Neuilly-Plaisance en Seine-Saint-Denis où elle commence le judo assez tardivement, à l’âge de 13 ans. Séduite par la convivialité et l’esprit d’équipe qui dominent les compétitions auxquelles elle participe au collège, elle prend vite goût à ce sport. Poussée par des résultats prometteurs, elle intègre l’INSEP en 2000 et commence à se révéler sur la scène internationale de la discipline quelques années plus tard. En 2006, elle est sacrée championne d’Europe de judo (-70kg), un titre qu’elle obtiendra également en 2007, 2011 (-63kg), 2012 (-63kg) et 2016. Gévrise Émane décroche pour la première fois l’or mondial en 2007 à Rio, puis de nouveau en 2011 (-63kg) et 2015. En 2012, la judokate décroche la médaille de bronze aux Jeux Olympiques de Londres.Parallèlement à sa carrière de sportive de haut niveau, Gévrise Émane passe le concours de professeure de sport en 2014 à l’INSEP. En cette fonction, elle est actuellement en charge du suivi socio-professionnel des athlètes de l’INSEP et entraîneur national cadet. Depuis janvier 2017, la championne transmet son expertise et sa performance à travers des Masters Classes Judo et des Masters Classes Entreprises où elle intervient sur des sujets divers et variés (gevrise-emane.com). Enfin, Gévrise Émane fait vivre son sport au plus grand nombre en étant consultante TV lorsqu’il y a des compétitions de judo.