Elle avait réalisé l’exploit à Sotchi en remportant 4 médailles d’or en para ski alpin. C’est donc une Marie Bochet sur-expérimentée et sur-titrée – 15 sacres mondiaux ! – qui ira en Corée du Sud pour disputer ses 3èmes Paralympiades au mois de mars. Et, cette fois encore, la jeune femme de 23 ans maintient sa ligne de conduite : surtout, ne pas avoir de regrets. Un crédo gagnant.
Propos recueillis par Floriane Cantoro
Extrait du magazine Women Sports N°7 Spécial hiver – Janvier/Février/Mars 2018. DOSSIER PYEONGCHANG 2018.
- Pourriez-vous vous présenter en quelques mots pour les lecteurs et lectrices de Women Sports.
Je suis une Beaufortaise de 23 ans. J’ai commencé le ski vers 4-5 ans avec l’école de mon village. J’ai débuté en compétition avec les skieurs valides et j’ai rejoint le milieu handisport à 12 ans [ndlr : Marie Bochet est née avec une agénésie de l’avant-bras gauche]. Quatre ans après, j’étais au départ des Jeux de Vancouver puis j’ai fait ceux de Sotchi où j’ai pris 4 médailles d’or. Je m’apprête à participer à mes 3èmes Jeux Paralympiques. Je suis embauchée par l’Armée des Champions, comme beaucoup d’autres athlètes français. Parallèlement, je suis une formation à Science Po Paris qui prépare aux concours d’entrée en Masters. Cependant, cette année, j’ai mis les études entre parenthèses pour me consacrer à 100% sur les Jeux.
- À Sotchi, en 2014, vous avez remporté l’or sur quatre des cinq épreuves du ski alpin. Quel exploit !
Pour mes premiers Jeux Paralympiques à Vancouver en 2010, je n’étais qu’une enfant. Je me suis laissée emporter par ce tourbillon sportif et médiatique que sont les Jeux. On n’a pas l’habitude d’un tel engouement, surtout en handisport : pas l’habitude d’avoir des tribunes dans les aires d’arrivée, des caméras dans les portillons de départ… J’ai été déconcentrée par tout ça. Je suis donc arrivée à Sotchi forte de cette première expérience. Je savais à quoi m’attendre. Je savais aussi que, sportivement, j’étais capable de faire de bons résultats ; j’étais leader de ma catégorie la saison précédente donc je savais que c’était vraiment l’année où je pouvais faire de belles choses aux Jeux.
- Comment s’est passé votre retour en France avec quatre médailles d’or autour du cou ?
Quand on est aux Jeux, on est dans une bulle. On n’ouvre pas vraiment les yeux sur ce qu’il se passe chez nous, en France. On est vraiment concentré sur nos objectifs. Je ne m’étais pas rendue compte de tout cet élan qu’il y avait eu autour de moi grâce à la médiatisation des Jeux et au travail des journalistes. J’ai vraiment pris conscience de ça à mon retour à Paris. Je me suis retrouvée sur les plus gros plateaux télévisés. J’avais ce nouveau statut de quadruple championne olympique auquel je n’avais pas forcément eu le temps de m’adapter car la tournée médiatique a commencé le matin même de mon retour de Russie ! Mais j’étais bien entourée et protégée par les équipes de la Fédération et du Comité paralympique et sportif français. J’ai réussi à garder les pieds sur terre et à ne pas trop m’emballer.
« Aujourd’hui, je ne suis pas la même athlète qu’avant Sotchi. »
- Le statut de quadruple championne olympique a-t-il changé quelque chose dans votre façon de vous entraîner ?
Ça a changé quelque chose car, pour moi, l’objectif suprême de ma carrière sportive était de dérocher l’or aux Jeux Paralympiques. Lorsque j’étais sur le podium de la descente à Sotchi, mon premier podium en Russie [ndlr : il y a ensuite eu le slalom géant, le super combiné et le super-G], j’ai ressenti un mélange de sentiments entre, d’une part, un énorme bonheur et, de l’autre, une mélancolie aussi de me dire que cet objectif-là était atteint. Au retour de Sotchi, je me suis demandée sur quels objectifs sportifs j’allais pouvoir rebondir. Je savais que je pouvais aller encore plus loin et progresser. Puis, j’ai rapidement eu PyeongChang en tête. C’était logique et normal pour moi de repartir sur un cycle olympique. C’est sur qu’aujourd’hui, je ne suis pas la même athlète qu’avant Sotchi. Mais cela ne veut pas dire que je suis moins impliquée et concentrée dans ma pratique, au contraire même.
- Dans vos entraînements, qu’est-ce que vous devez travailler plus ou autrement qu’une skieuse valide du fait de votre handicap ?
J’ai la chance d’avoir un handicap qui est quand même assez léger et qui me permet d’être facilement assimilée aux skieuses valides. Par exemple, j’ai fait mes quatre années de lycée dans la section sport-études d’Albertville qui est normalement réservée aux sportifs valides. J’étais la première athlète handisport à l’intégrer. J’ai suivi tous les entraînements avec les filles de mon âge. C’est une chance de pouvoir intégrer un groupe rapidement sans trop d’adaptation à mettre en place. Après, il y a forcément des petites choses sur lesquelles il faut plus insister. Il me manque un petit bout de bras ce que fait que mon côté gauche est un peu moins développé que le droit. On travaille sur la ré-harmonisation du haut du coprs, sur la proprioception. En musculation, il y a des choses que je ne peux pas faire mais on trouve pas mal d’alternatives avec mes entraîneurs pour se rapprocher le plus possible de la préparation des valides. Ce sont des adaptations minimes par rapport à d’autres handicaps.
« Je suis impatiente d’y être, mais je ne veux pas non plus me précipiter. »
- L’objectif de PyeongChang, c’est le slalom, seule épreuve qui vous a échappé la dernière fois ?
J’ai forcément un peu d’aigreur sur le slalom. C’était quand même ma discipline de prédilection en arrivant à Sotchi ! Me rater complètement sur cette épreuve a été difficile mais j’ai rapidement analysé pourquoi : c’était un trop plein d’envie, et une journée compliquée où j’avais perdu beaucoup d’énergie… J’aurai des ambitions plus ou moins affichées sur cette épreuve à PyeongChang, c’est sûr. Après, je ne pars pas aux Jeux avec un nombre de médailles en tête ; je pars comme à Sotchi, consciente de mes capacités. Je pars dans l’optique que, le 18 mars 2018, je ne veux pas avoir de regrets, quelles que soient les médailles que j’aurai autour du cou. Ou que je n’aurai pas d’ailleurs.
- Quel est votre état d’esprit à quelques jours du grand départ ?
Pour l’instant, la préparation suit bien son cours. Je suis impatiente d’y être, mais je ne veux pas non plus me précipiter.
- Quelles seront vos plus grandes concurrentes sur les pistes de Corée du Sud ?
Ma plus grande concurrente est l’Allemande Andrea Rothfuss ; elle a le même handicap que moi. C’est elle qui a gagné le slalom à Sotchi en 2014. Elle est très régulièrement sur les podiums avec moi. Il y a également la Canadienne Alana Ramsay qui pourra répondre présente, ainsi que l’Américaine Stephanie Jallen, qui sait être là sur les Jeux puisqu’elle a déjà décroché des médailles à Sotchi.
- Selon vous, quelles sont vos qualités pour réussir à PyeongChang ?
Je suis pleine d’expérience puisque ce seront mes 3èmes Paralympiades, ce qui me donne de la force et une certaine capacité d’adaptation. D’après mes coachs, je suis également l’une des athlètes les plus « physiques » sur les skis.