Corps trop frêles, pratiques trop violentes, santé trop fragile… Tous les prétextes ont été invoqués, jadis, pour interdire les activités sportives aux femmes. Aujourd’hui, si le sport s’est considérablement ouvert à ces dames, il existe encore quelques barrières dans certaines régions du monde ou pour certaines disciplines, pour des raisons principalement religieuses ou culturelles. Aperçu.
PAR FLORIANE CANTORO
Extrait du magazine WOMEN SPORTS N.9 de juillet-août-septembre 2019.
• AMÉRIQUE / États-Unis, Massachusetts
GOLF. Pas de garçon, pas de trophée !
Le 24 octobre 2017, Emily Nash, une Américaine de 16 ans, remporte un tournoi de golf étudiant dans le Massachusetts. Pourtant, ce n’est pas elle qui a soulevé le trophée. La raison ? Selon le règlement de la Massachusetts Interscholastic Athletic Association (MIAA), qui dirige la compétition, seul un garçon peut gagner la coupe. Les filles ne sont autorisées qu’à s’inscrire au tournoi par équipes. Un mois plus tard, la jeune Emily Nash a reçu un prix pour « ses performances et son fair-play sans précédent » de la part… de la MIAA ! Trop sympa…
• EUROPE / Royaume-Uni
GOLF. Gentlemen Only, Ladies Forbidden ?
Non, « GOLF » n’est pas l’acronyme de « Gentlemen Only, Ladies Forbidden ». Mais quand on sait qu’il a fallu attendre 2017 pour que le club de Muirfield autorise (enfin) les femmes à devenir membres, on peut légitimement se poser la question ! En 2016, la proposition d’admettre les golfeuses au sein de ce club écossais, le plus vieux du monde (274 ans), n’avait recueilli que 64% des voix, en-deçà de la majorité des 2/3 tiers requise. Cela avait entraîné l’exclusion du club de la liste des parcours du British Open et lui avait valu de nombreuses critiques, notamment celle de ne pas être en phase avec la société moderne. En mars 2017, l’admission des femmes a finalement été approuvée par 80,2% des membres. Visiblement, voir la gent féminine sur un green ne fait toujours pas l’unanimité chez les Écossais !
• AFRIQUE / Somalie
FOOTBALL. Sa famille n’est pas courant qu’elle joue au ballon rond
Sohad Mohamed a 19 ans. Elle fait partie des quelque 60 footballeuses somaliennes qui jouent au Golden Girls Center dans la capitale Mogadiscio, le seul club de football féminin du pays. Avec ses coéquipières, elles arrivent au stade en hijab avant de laisser tomber l’habit traditionnel musulman et d’enfiler une tenue de sport. Pour autant, ces femmes ne se sentent pas libres de pratiquer leur passion. Elles vivent dans la crainte permanente des islamistes shebab, qui mènent régulièrement des attaques meurtrières et condamnent toute forme de divertissement tel que le football, surtout chez les femmes. En mars dernier, Mohamed Abukar Ali, le fondateur du club, s’était confié à l’AFP sur les dispositifs mis en place afin de protéger ses joueuses : « Lorsque les filles viennent à l’entraînement, on doit organiser le transport pour les amener ici, puis les ramener chez elles […]. Il y a également un barrage de sécurité avec des soldats armés tout autour du stade. Il y a tellement de défis, qu’il s’agisse de la sécurité ou du manque de ressources. Mais cela ne va pas nous décourager dans notre ambition d’établir des clubs de football féminin dans ce pays. » En Somalie, société musulmane ultra-conservatrice, les femmes footballeuses sont très mal vues. Sohad Mohamed joue dans l’équipe depuis quelques mois. « Je l’ai caché à ma mère parce qu’elle ne m’aurait pas permise de jouer au football. Elle l’accepte désormais, et c’est déjà ça, mais le reste de ma famille n’est pas au courant. »
• OCÉANIE / Polynésie, Tonga
RUGBY & BOXE. « Préserver la dignité des Tongiennes »
En mars, dans les îles Tonga, des lycéennes sont exclues d’un tournoi de touch rugby (une version sans plaquage du sport), au seul motif qu’elles sont des femmes. Le Gouvernement justifie cette décision par l’existence d’une circulaire visant à interdire la pratique du rugby et de la boxe aux jeunes filles de l’Archipel. Le ministère de l’Éducation explique que cette mesure est destinée à « préserver la dignité des Tongiennes et maintenir les valeurs culturelles des Tonga ». De nombreuses voix se sont élevées pour contester cette mesure sexiste, notamment celle de Valerie Adams, reine du lancer de poids, née en Nouvelle-Zélande mais fière de ses origines tongiennes. Elle dénonce une « interprétation malavisée et obtuse de la culture » locale. « Les femmes des Tonga doivent se lancer dans le rugby, comme dans n’importe quel sport, nous sommes douées pour ça », a-t-elle ajouté. Heureusement, l’interdiction peut être contournée par les jeunes filles de l’Archipel car elle ne concerne que les établissements publics.
• ASIE / Japon
SUMO. Jusqu’à ce que mort s’ensuive
Le sumo, dont les origines remontent à plus de 2.000 ans, est un sport de lutte traditionnel au Japon qui conserve de nombreux rituels religieux shinto. Notamment le fait de considérer le dohyo, c’est-à-dire le ring, comme un lieu sacré et d’en interdire l’accès aux femmes potentiellement « impures » du fait de leurs menstruations. Ce sport a connu un important retentissement médiatique au printemps, lors d’un incident survenu à Maizuru dans la région de Kyoto. Le maire de la ville était en train de prononcer un discours lorsqu’il s’est effondré sur le ring, victime d’un malaise cardiaque. Plusieurs femmes se sont alors logiquement précipitées pour lui prodiguer des soins d’urgence mais l’arbitre leur a intimé de quitter immédiatement l’arène. Dans un communiqué, le responsable de l’Association de sumo, Hakkaku, a formulé de « sincères excuses », reconnaissant que c’était une « action inappropriée dans une situation où une vie était en danger ». Quelques jours plus tard, Tomoko Nakagawa, une mairesse japonaise, a été obligée de prononcer son discours en dehors du dohyo, depuis un podium placé à l’extérieur du ring. « Parce que je suis une femme, je ne peux pas faire de discours dans l’arène. C’est regrettable et humiliant », a-t-elle déclaré, sous les applaudissements de la foule. Tomoko Nakagawa a promis qu’elle se battrait pour renverser le sexisme du sumo.
• ASIE / Iran
FOOTBALL. Elle se travestit pour entrer dans les stades
Parce qu’elle est une femme et que c’est interdit en Iran, Zahra ne peut pas assister aux matches de son équipe de football préférée, le FC Persepolis. Pourtant, depuis novembre 2017, cette jeune Iranienne s’est rendue au stade deux fois, déguisée en homme : cheveux courts, fausse barbe, maquillage et vêtements amples, tout était fait pour cacher sa féminité. Depuis les gradins, elle a regardé le match sans prononcer un seul mot, ni applaudir, ni encourager, ni faire le moindre geste qui aurait pu la trahir. Zahra a quand même décidé de médiatiser ses virées stadophiles sur les réseaux sociaux, et elles sont rapidement devenues virales. L’entraîneur du FC Persepolis, qui la connaît, lui a déconseillé de recommencer, pour sa sécurité. Mais la jeune femme ne compte pas se résigner. Depuis l’élection de Hassan Rohani à la présidence en 2013, le gouvernement iranien tente de convaincre les conservateurs d’ouvrir les stades aux femmes, mais sans succès pour le moment (elles ne peuvent assister qu’à des matches féminins). L’impulsion pourrait peut-être venir des pays voisins : en 2018, l’Arabie Saoudite a autorisé les femmes à assister à des événements sportifs dans trois stades du royaume.
• ASIE / Pakistan
SQUASH. « Pendant plus de trois ans, je n’ai pu m’entraîner que dans ma propre chambre »
Maria Toorpakai Wazir a grandi dans la région de Waziristan, terre des Talibans au nord du Pakistan, souvent désignée comme l’endroit le plus dangereux du monde. Les filles ne vont pas toujours à l’école et n’ont pas le droit de pratiquer une activité physique. Mais Maria Toorpakai Wazir dépasse très jeune cette discrimination : à quatre ans, elle décide de brûler ses habits de petite fille, de se couper les cheveux et de s’habiller comme ses frères afin de préserver sa liberté. À la maison, elle est Maria mais, à l’extérieur, elle devient Gengis Khan [ndlr : nom du fondateur de l’Empire mongol, un des plus grands guerriers de tous les temps]. Sa famille cache son identité, la protège et l’élève comme un garçon. Jusqu’au jour où elle découvre le squash et que son club lui demande un certificat de naissance. Son secret est dévoilé… Des années d’intimidation commencent. Son succès attire l’attention des Talibans et elle reçoit des menaces de mort pour avoir joué sans voile et en short. « Il fut un temps où je ne pouvais même plus sortir de chez moi, a-t-elle raconté à CNN en 2016. Pendant plus de trois ans, je n’ai pu m’entraîner que dans ma propre chambre. » Elle contacte les clubs, académies, écoles et universités d’Occident, demandant de l’aide pour devenir une championne. En 2011, après des milliers de messages restés sans réponse, elle reçoit un mail de la part de l’ancien N.1 mondial, Jonathon Power, qui l’invite dans son académie de Toronto. Elle atteint le Top 50 mondial l’année suivante et devient, dans la république islamique du Pakistan, le symbole du combat des femmes.
• ASIE / Afghanistan
CYCLISME. Les « Petites Reines de Kaboul » risquent leur vie par amour du vélo
Comme Maria Toorpakai Wazir, Masomah et Zahra Alizada, deux soeurs afghanes d’une petite vingtaine d’années, ont grandi dans une zone menacée par la présence des Talibans, à Kaboul, en Afghanistan. Elles étaient les piliers de l’équipe nationale féminine de cyclisme dans un pays où, pour une femme, faire du vélo est considéré comme un grand pêché et un déshonneur. Pendant des années, les soeurs Alizada et leurs coéquipières afghanes ont pourtant bravé les interdits, s’entraînant à une quarantaine de kilomètres de la capitale, sur une autoroute en construction en plein milieu du désert, avec le vrombissement des hélicoptères américains en fond sonore. Celles que l’on surnomme les « Petites Reines de Kaboul » sont régulièrement menacées par des spectateurs qui leur jettent des pierres et des fruits sur leur passage. « Je savais que les Talibans pouvaient nous kidnapper ou nous tuer, mais j’acceptais tous les risques parce que j’aime trop le vélo, et je voulais continuer à tout prix », explique Masomah Alizada, le plus grand espoir du pays. Leur combat a ému la communauté internationale et notamment Thierry Communal et sa famille, des Français passionnés de cyclisme, qui décident de les aider à obtenir des visas et l’asile politique en France. Depuis avril 2017, les soeurs Alizada et leur famille sont installées dans le Morbihan, en Bretagne. Masomah et Zahra poursuivent leurs études à Lille et s’entraînent sans relâche sur les routes du Nord. Elles partagent un rêve commun : devenir les premières femmes médaillées olympiques en Afghanistan lors des Jeux de Tokyo en 2020.