La Cannoise Élodie Lorandi, 30 ans, est une athlète handisport pour le moins… inarrêtable ! Celle qui a commencé le sport à 3 ans, atteinte d’une maladie orpheline qui lui paralyse la jambe, s’est d’abord consacrée à la natation avant de se tourner vers l’aviron. Retour sur ce parcours exceptionnel, ponctué de médailles paralympiques… et d’un mental pas comme les autres !
Propos recueillis par Vanessa Maurel, en partenariat avec EAFIT
Extrait du magazine WOMEN SPORTS N.14 d’octobre-novembre-décembre 2019
WOMEN SPORTS : Pourquoi être passée de la natation à l’aviron ?
Élodie Lorandi : En natation, c’est vrai que j’avais fait le tour… mais surtout, comme on dit, « place aux jeunes » ! J’étais la plus vieille, et même si j’avais cet esprit de compétition, il arrive un moment où il faut savoir lâcher. Sur les entraînements, j’avais l’impression d’être arrivée à un point de routine, ça devenait toujours pareil, compliqué. C’était le moment de dire stop. Et c’est dans cette période de transition que l’on m’a proposé l’aviron. Pendant un an, j’ai jonglé entre les deux car c’est vrai que les deux sports se complètent énormément et que c’était appréciable. Puis je me suis pleinement consacrée à l’aviron. Je suis un peu plus posée, j’ai moins l’impression d’être dans le trop-plein.
WS : La natation te manque-t-elle, parfois ?
E.L : Bien sûr que ça me manque ! Ça me manquera toujours. C’est ma passion, donc forcément que la natation me reste dans la tête. Mais rien ne m’empêche de la pratiquer seule, sans compétition. Il m’arrive d’aller faire des entraînements en bassin pour le plaisir.
WS : Quelles sont tes journées types ?
E.L : Cette année c’est un peu différent du fait que je sois en formation pour devenir auxiliaire de puériculture. Je dirais que c’est les cours, puis le soir direction l’entraînement que ce soit en salle de muscu ou sur le lac de Saint-Cassien. En gros, ça donnerait deux heures d’entraînement le matin ou le soir, pour un total de 14 heures par semaine environ. Mais lorsque je n’ai pas cours, et que je suis en stage, on peut multiplier ce chiffre par deux et arriver à 28 heures d’entraînement par semaine, facile. On rame le matin, on a un moment de calme pour le déjeuner, et on repart faire de l’équipe l’après-midi. Autant vous dire qu’on pense aviron, qu’on mange aviron, qu’on dort aviron ! Et dès que l’on peut, on essaye de caler des moments de bien-être pour nous et notre mental, que ce soit du cinéma, de la sophrologie, du yoga ou même de la méditation chez soi, ainsi qu’un suivi psychologique. Pour moi, le mental, c’est autant important que la préparation physique.
WS : En tant que nageuse, tu as notamment participé aux Jeux paralympiques de Londres 2012, où tu as remporté la médaille d’or sur le 400 m nage libre. Que retiens-tu de cette expérience ?
E.L : Les Jeux paralympiques c’est vraiment quelque chose d’extra ! Si avant les compétitions on prend nos marques et qu’on est tous dans notre bulle, qu’on mange entre Français, que le stress monte, il en est tout autre après la compétition ! On fait des échanges extraordinaires. Malgré les résultats, on parle avec des athlètes de toutes les disciplines, de toutes les origines. On échange nos bonnets, nos t-shirts, on va voir les bénévoles du village, on leur donne des pins. C’est vraiment bon-enfant, je n’ai jamais vu un village paralympique triste ! Et puis, ça permet de voir comment les concurrents s’entraînent, se préparent. C’est toujours très bénéfique !
« Le handisport en France ? Il y a encore du boulot ! »
WS : Au tout début de ta jeune carrière, tu nageais en « valide », puis tu es passée à la section handi à 15 ans…
E.L : J’ai une maladie orpheline qui me paralyse la jambe. Cette pathologie touche une personne sur un milliard, et n’a même pas de nom du fait de sa rareté. Si on peut dire ça comme ça, je pense que ma maladie est plus simple à accepter du fait qu’elle me suit depuis toujours. Elle m’a fait endurer de multiples interventions sur ma jambe gauche, et c’est vrai qu’au début c’était difficile à admettre. On vit avec quelque chose qui nous gène, c’est très agaçant, mais on se rend vite compte que dans la vie il y a plus grave. Moi j’ai décidé d’en faire « ma copine du moment », puisqu’elle est tout le temps avec moi !
WS : Tu entretenais une relation privilégiée avec Camille Muffat, décédée en 2015…
E.L : Oui, j’ai nagé avec elle dès notre plus jeune âge. J’avais une relation fusionnelle avec Camille, et c’est vrai qu’étant donné qu’elle habitait à Nice, ses parents m’ont beaucoup ouvert les portes de leur château pour que ce soit plus simple pour moi de venir aux compétitions. Lorsque je suis partie en section handi, nos chemins se sont un peu séparés et nous nous sommes perdues de vue. Puis, on s’est retrouvé quelque temps après, et on aimait beaucoup se remémorer nos fous rires. Camille était une personne vraiment drôle. Même si elle avait l’image de l’athlète renfermée, c’est tout simplement parce qu’elle portait sur elle une énorme pression dans les bassins, c’était la meilleure et elle ne devait pas décevoir. Elle avait un caractère très fort, et se révélait elle-même, un petit nounours, lorsqu’elle sortait de l’eau. Son décès a été un coup de massue. Même si elle avait arrêté de nager pour prendre du plaisir et vivre des expériences comme cette émission, c’est terrible. On ne s’habitue jamais à ce que quelqu’un parte comme ça…
WS : Les athlètes handisport ont-ils des aides pour préparer les Jeux paralympiques ?
E.L : La Fédération nous aide à gérer notre emploi du temps et par exemple aménager les cours. J’ai également des sponsors qui m’aident et qui me suivent comme EAFIT, qui me permet d’avoir ses produits nutritionnels sans que j’aie à les acheter. C’est un gros plus pour moi car c’est beaucoup d’argent d’économisé, tout comme mon partenariat avec EDF. Le fait que je sois salariée du ministère de la Défense en étant militaire, m’aide aussi à faire mon métier et à être disponible pour eux dès qu’ils en ont besoin, tout en pouvant faire mes études à côté et mon sport. Après, ça reste simple. En handisport, on n’a pas beaucoup de sponsors. Mais la Fédération va essayer de mettre en place une bourse pour pouvoir être plus encadré, avoir une meilleure préparation physique, pour avoir du matériel chez soi. Par exemple, si je voulais m’offrir un rameur pour travailler chez moi, j’aurais à débourser entre 800 à 2.600€ pour les meilleurs. Et il y a tous les à-côtés aussi, par exemple, je débourse 50€ par mois chez l’ostéopathe…
WS : Que penses-tu de la façon dont on traite le handisport en France ?
E.L : La médiatisation du handisport est très très faible en France. Mais dans notre pays, dès qu’on parle du handicap, on a un regard différent… On pense directement « oh les pauvres, c’est dur, qu’est-ce qu’on peut faire pour eux ». Même si du travail a été fait et que l’on a eu le droit à 100h de médiatisation lors des Jeux paralympiques, les chaînes de télévision, les radios et même les marques et entreprises n’ont pas envie de faire un visu sur le handicap donc referment les barrières. Ils ont peur en quelque sorte que ça choque les gens alors inconsciemment, se renvoient la balle. Pourtant, la médiatisation du handisport permettrait d’ouvrir les esprits et qu’on ne regarde plus de travers les personnes ayant un handicap. Mais c’est le même problème que le sport au féminin, on pense que ça n’intéresse pas le grand public. On a parlé un peu des filles pour la Coupe du monde féminine de football, mais dès lors qu’elles ont perdu on les a zappées… Alors que si c’était les hommes, on en aurait parlé pendant 10 mois ! Mais heureusement, tout cela se développe un peu. Par exemple, EAFIT, avec qui je travaille, ne fait aucune différence entre les valides et les handis. C’est super !
WS : Justement, comment se passe ton partenariat avec EAFIT ?
E.L : C’est tout simplement un échange de bons procédés. Pour moi, EAFIT m’apporte une visibilité plus large, notamment à travers leurs réseaux sociaux, et me font connaître en tant que sportive. L’avantage est aussi que je peux commander tout ce que je veux chez eux, concernant les compléments alimentaires. En contrepartie, j’aide à développer la première marque de nutrition en France en la faisant partager à ma famille, mes amis, où même des gens lambdas que je croise dans la rue et qui me demandent si je connais une marque de nutrition ! Je montre une image de la marque au plus haut-niveau de mon sport et surtout dans le monde entier grâce à mes déplacements, mes photos, etc. Mais ce qui est sûr, c’est que pour moi, c’est une grande fierté de représenter cette marque. Ils me suivent depuis plus de 10 ans, et ça me permet également de les remercier pour tout ce qu’ils font pour moi depuis.
QUESTIONS INSOLITES : « La Grenouille » se jette à l’eau !
WS : As-tu un surnom particulier ?
E.L : Oui on m’appelle Grenouille. C’est un surnom que mon papa me donnait quand j’étais petite, parce que, selon lui, je nageais comme une grenouille. Depuis c’est resté, et je m’en suis même fait tatouer une dans le dos.WS : Quelle est ta playlist du moment ?
E. L : J’écoute un peu de tout… Mais c’est vrai que j’aime particulièrement Soprano et sa chanson spéciale nommée « mon coach ». Dedans, il dit « allez on va pousser, faut pas lâcher », et c’est vrai qu’elle me motive pas mal quand j’ai un coup de mou.WS : Ta playlist contient-elle une chanson inavouable ?
E. L : Je dirais Céline Dion, et notamment le titre « Cherches encore ».WS : Y-a-t-il un plat pas diététique du tout dont tu ne peux pas te passer ?
E. L : Ah mon kiff, c’est les plateaux de fruits de mer ! Je ne peux pas m’en passer.WS : Quel est ton porte-bonheur ?
E. L : C’est une peluche. C’est Pluto mais moi je l’ai appelée Rio puisque je l’ai eu juste avant les Jeux de 2016.WS : Quels sont tes objectifs sportifs et professionnels ?
E. L : En sportif ce serait bien évidemment les Jeux paralympiques en aviron à Tokyo-2020. Du côté professionnel, ce serait pour le moment de réussir à décrocher mon diplôme d’auxiliaire de puériculture.WS : Quels sont tes modèles ?
E. L : Les seuls modèles de ma vie sont mes parents.WS : Quelle est ta devise ?
E. L : « Quand on veut on peut ». Mais j’aime bien aussi « Choisis un travail que tu aimes, et tu n’auras pas à travailler un seul jour de ta vie ».