Chorégraphe franco-camerounaise installée à Lille, Jeannine Fischer est fondatrice de Wawa l’asso et de l’école dédiée aux danses afro-urbaines, Waka Waka Dance Academy, dont les portes sont grandes ouvertes depuis 2014.
Par Léa Borie
Extrait du magazine WOMEN SPORTS N.16 d’avril-mai-juin 2020 (dossier spécial sport en Afrique)
Dans cette école de danses urbaines de matrice africaine, 10 styles y sont dispensés. Des danses urbaines d’Afrique de l’Ouest et du Centre, des Caraïbes et du Brésil, énergiques, endurantes, saccadées et chaloupées, qui font vibrer petits et grands. L’objectif dans cet apprentissage de l’historique des pas : retranscrire l’état d’esprit de fête, de liberté, de sensualité, de joie, de partage… les gestuelles, les situations de vie empruntées de la tradition de ces danses populaires, tout en s’encrant dans la modernité et la réalité sociale. « Née à Paris, j’ai vécu plus de 10 ans au Cameroun et souhaitais élargir cette vision très ethno-centrée qu’on peut avoir hors d’Afrique, et aborder une image de cette Afrique moderne, pleine de vie. J’ai la chance d’avoir voyagé depuis toute petite et de pouvoir m’affranchir des carcans. Il y a une vraie ébullition créative et avant-gardiste en Afrique, dont on n’a pas assez conscience en Europe. »
Comment avez-vous débuté ?
J’ai commencé à m’intéresser aux danses d’Afrique de l’Ouest, aux danses mandingues de l’Ancien empire. Après 10 ans de formation en danses traditionnelles, j’ai cherché à me tourner vers des pratiques modernes des courants afro urbains. C’est l’avènement des réseaux sociaux, et en particulier Instagram, qui a permis une diffusion massive, en Afrique mais aussi à l’international. Avant cela, les danses africaines souffraient d’une image poussiéreuse de danse de mariage.
Danses urbaines vous dites ?
Oui car elles sont créées dans la rue. C’est d’ailleurs leur spécificité : faire écho à une réalité sociale. Les pas de danse représentent le peuple. Ce n’est pas pour rien qu’un pas de coupé-décalé s’appelle la grippe aviaire, ou qu’un pas d’afro house donne l’impression de boiter ! C’est aussi le reflet de l’après-guerre, de la présence de mines antipersonnel en Angola notamment, avec des civils estropiés. Les inspirations de styles travaillent aussi autour de la musique, qui évolue vite. Afro beat du Nigéria, du Kenya, d’Ouganda… se mêlent au rap, à la pop et au dance hall des Etats-Unis.
Quel est le point commun entre toutes les danses selon vous ?
L’enjaillement ! Un mélange de joie, de bien-être, de lâcher-prise, de non-jugement de l’autre. Des valeurs que je prône dans mon école, avec au centre l’estime de soi. En participant à un cours, on se reconnecte avec l’énergie de la terre, on danse avec son cœur pour libérer son corps et son esprit. Il s’agit aussi de recréer du lien social, ce qu’on retrouve moins en France. Ce qui manque aussi ici, c’est la matrice.
Qu’est-ce que la matrice africaine ?
On travaille autour de 3 zones géographiques : Afrique, Caraïbes et Brésil, et la mère, c’est l’Afrique ! C’est pourquoi on puise dans l’histoire du continent. Ça nous replonge dans les diasporas, la capture d’esclaves, la déportation, entre cultures africaines du passé et afro-descendants qui font perdurer cet héritage au travers de la musique et la danse, et dont le monde entier s’inspire.
Cela vous a mis sur la voie pour créer votre école de danse ?
En revenant d’Afrique, il me manquait cette ferveur, cette émerveillement, ce sens du partage avec l’autre. C’est de ça qu’a découlé le projet d’école de danse, cette cause engagée pour vivre ma passion et la diffuser à tous les élèves. C’est pourquoi aujourd’hui, on organise aussi des voyages culturels, des masterclass, des workshop, des talks et même un festival de danses afro urbaines, attendu prochainement à Lille.