Surnommée « Corsica », Alexandra Feracci, 28 ans, est la reine du kata, une spécialité du karaté. La native d’Ajaccio défendra les couleurs de la France aux Jeux Olympiques de Tokyo où, pour la première et la dernière fois, le karaté sera à l’honneur. Fière de représenter son pays, ses couleurs et son sport, elle nourrit de grandes ambitions et compte bien réparer cette injustice dont les karatékas ont été historiquement victimes en étant «interdits de JO». Rencontre avec une sportive déterminée, engagée et attachante ! PROPOS RECUEILLIS PAR RAPHAËL MARCANT. Extrait du Women Sports N°21.
Le karaté est un art martial japonais pratiqué par plus de 70 millions de personnes à travers le monde. Humilité, respect, courage, honneur… un sport ancestral qui véhicule par sa pratique un nombre de valeurs incommensurables, sportives mais aussi de vie. Un sport divisé en deux parties, le « kumite » ou combat et le « kata », enchaînement de tech- niques codifiées dans le vide représentant un combat réel contre plusieurs assaillants fictifs.
Depuis les années 2000 et l’inclusion du taekwondo aux Jeux Olympiques, la présence du karaté au programme des Jeux est soutenue par la Fédération mondiale de karaté. Son absence est source d’incompréhension pour les pratiquants pourtant plus nombreux à travers le monde que les judokas. Débattue depuis plusieurs an- nées, cette demande voit enfin la lumière. Le 3 août 2016, le Comité International Olympique prend la décision d’intégrer le karaté comme sport additionnel aux Jeux Olympiques de Tokyo 2020. Une occasion unique pour le pays fondateur de ce sport de pouvoir l’organiser sur ses terres. Un rêve éphémère, la discipline n’est pas reconduite pour la prochaine édition de Paris 2024.
C’était le karaté ou la danse !
Numéro 1 française, Alexandra Feracci compte bien saisir sa chance et rentrer en France avec la plus belle des médailles au- tour du cou. Une ambition qui a vu le jour à Ajaccio au sein du dojo familial. À 4 ans, la petite terreur corse foulait déjà les tata- mis. Née avec un kimono, elle est l’héritage d’une véritable histoire de famille. À 15 ans, elle réalise que ses prestations sont hors- normes, choisit sa voie et privilégie le karaté à la danse puis le kata au kumite. Une évolution logique marquée notamment par des succès nationaux puis une détection en équipe de France.
Aux premières loges, ses parents l’ont sui- vie, entraînée et poussée à se surpasser au quotidien. Une double casquette d’en- traîneurs et de parents parfois difficile à gérer : « Plus jeune, c’était un peu difficile.
Je les trouvais beaucoup plus durs avec moi qu’avec les autres. Il y a eu des moments un peu difficiles. Parfois on a du mal à switcher. Ça ne se passe pas bien à l’entraînement et derrière à la maison ça s’enchaîne et ça continue. L’inverse était vrai aussi, des tensions à la maison qui se répercutent sur l’entraînement. » Aujourd’hui plus souvent coachée par son entraîneur en équipe de France que par ses parents, même si son père est toujours très présent, elle sait pertinemment que sa famille a été et est l’une de ses plus grandes forces. Un soutien indéfectible sur lequel elle pourra toujours compter, quoi qu’il arrive.
L’équipe de France est « une famille ! »
Aujourd’hui, Alexandra Feracci navigue entre Ajaccio et Paris où elle retrouve l’équipe de France. Une véritable fierté pour elle qui souhaite faire briller ses couleurs partout où elle passe. Bien intégrée au groupe France, elle évoque un esprit Bleu à toute épreuve. Aucune tension, l’équipe de France est une famille: « Il n’y aucune rivalité. Au contraire, on se soutient, on décompresse et on rigole ensemble. Il y a vraiment une super ambiance. On est tous là pour s’entraider et s’encourager. Ce soutien nous permet d’être plus forts et de progresser, ensemble. »
Un véritable esprit d’équipe instauré dans un sport pourtant individuel. Une équipe soudée ayant pour seul objectif les Jeux Olympiques de Tokyo. Un objectif qui a été décalé d’un an, pandémie oblige. Un bouleversement auquel les karatékas, comme tous les sportifs, ont dû faire face. Alexandra avoue avoir traversé une période difficile. « Au début, en plein confinement, j’ai eu beaucoup de mal à réaliser et je suis restée totalement concentrée sur l’objectif, la tête dans le guidon. Je me suis même plus entraînée que d’habitude. J’ai eu l’après coup au déconfinement, ça a été la douche froide. J’ai pris conscience que c’était fini, que tout était reporté alors que cela faisait deux ans que je me préparais spécialement pour ça. J’avais réellement à cœur d’y aller cette année-là. J’ai dû me remobiliser, ça n’a pas été simple mais j’ai réussi. Au final, je me suis dit que je devais en profiter pour progresser et travailler encore davantage pour être encore meilleure. Ça a été dur mais je pense avoir rapidement fait la bas- cule. »
« Le Japon est vraiment à l’origine de tout pour le karaté »
Ce report a également permis à « Corsica » de s’exiler au Japon, terre du karaté. Un nouvel apprentissage pour la championne qui a découvert de nouvelles coutumes et de nouvelles pratiques.
Un séjour extrêmement enrichissant : « Le Japon est vraiment à l’origine de tout pour le karaté. Leurs manières de travailler sont très différentes. Leurs séances d’entraînements durent toujours 4h alors qu’en France c’est plutôt 2h le matin et 2h l’après-midi. Ce n’est pas du tout la même approche. Cela demande beaucoup d’intensité, le corps a du mal à suivre. Au bout d’un moment le cerveau n’y arrive plus et on se relâche. C’est exactement ce que les coachs attendent là-bas, c’est à ce moment-là que tu pro- gresses le plus. Il n’y a plus de calculs, tout est fluide. Ça permet vraiment de bien travailler. »
Berceau du karaté, voir ce sport aux Jeux Olympiques de Tokyo est évidemment tout un symbole d’autant plus que son intégration n’est qu’éphémère. C’est la première et dernière fois que la discipline est retenue. Une décision du Comité International Olympique vécue comme une véritable injustice par ses pratiquants.
Un sport non olympique ? « Je vois cela comme une grande injustice »
Injustice qu’Alexandra Feracci compte bien réparer : « Je vois cela comme une grande injustice. Ils prennent (les membres du CIO et organisateurs, NDLR) des décisions arbitraires sans nous laisser la moindre chance. Ils ne savent même pas si ça va faire un flop ou si au contraire ce sera une superbe découverte pour le public et que le spectacle va plaire. C’est réellement injuste, il ne nous laisse pas l’occasion de montrer et de prouver que le karaté a totalement sa place aux Jeux. J’espère bien que nous allons leur faire regretter leur choix, leur montrer que c’était une erreur. En plus, je pense que tout le monde connaît le com- bat mais pas le kata. Je veux faire briller ma discipline et je pense que ça peut plaire aux gens. J’espère qu’ils réaliseront que leur décision était une erreur. »
Malgré tout, cette injustice peut se trans- former en opportunité. Une occasion de rentrer dans l’histoire pour la grande championne qui souhaite marquer la discipline de son empreinte : « D’un autre côté, je me dis que cela va rendre cette participation encore plus magique et plus inoubliable. Être aux premiers et aux derniers Jeux Olympiques de la discipline ce n’est pas rien. Le but est évidemment de marquer l’histoire. Je veux marquer de mon empreinte le karaté. Si je participe et remporte un tel événement, ce sera le cas. C’est l’objectif. »
« Le dicton « l’important c’est de participer », ce n’est pas pour moi ! »
Une chose est claire, Alexandra nourrit de grandes ambitions pour cette édition. Ses objectifs sont bien définis et les différents événements ayant bouleversé sa prépa- ration n’y ont rien changés. La plus haute marche du podium est le rêve auquel elle aspire. « Je vais à Tokyo pour performer et pour décrocher une médaille, la plus belle des médailles. L’objectif minimum est le podium mais je ne me cacherai pas, je veux l’or. On m’a toujours dit qu’en visant la lune en cas d’échec on atterrissait dans les étoiles. Je ne connais pas le dicton « l’important c’est de participer ». Ce n’est pas pour moi ça. L’objectif est de ramener une médaille. »
Pour nourrir de telles ambitions, Alexandra Feracci a dû passer par des moments difficiles. « Pour en arriver là, les sacrifices ont été permanents. La période la plus compliquée pour moi a été l’adolescence. A l’époque, on n’avait pas le même recul et moi, avec les nombreux week-ends passés au dojo, je n’ai pas pu passer beaucoup de temps avec mes amis, sortir ou aller faire des tours en ville. Certains ne comprenaient pas, d’autres m’ont même tourné le dos. Ça a toujours été dur à vivre mais aujourd’hui je ne regrette absolument pas d’avoir « sacrifié » quelques moments de ma vie pour me dévouer à mon sport. »
La carrière d’un sportif n’est pas simple mais n’en est pas moins extrêmement enrichissante. Aujourd’hui, elle ne regrette rien et fonce vers les Jeux de Tokyo. A ses côtés, sa petite sœur qui est aussi sa concurrente, la pousse à se dépasser tout comme ses nombreux supporters qui la portent au quotidien. Un véritable engouement qui lui donne des ailes : « Mes supporters sont constamment là, c’est un soutien au quotidien. Je reçois énormément de messages qui font chaud au cœur et ça m’aide beaucoup lors des moments plus compliqués. C’est vrai- ment touchant. » « Corsica » a d’ailleurs un petit message à transmettre à ses soutiens, mais aussi à toutes les jeunes sportives : « Croyez en vos rêves. Croyez en vous. Don- nez-vous les moyens de réaliser vos ambitions. Rien ne vient comme ça, d’un simple claquement de doigts. Au contraire, don- nez-vous les moyens d’y arriver. Avec de la volonté et du travail rien n’est impossible. Ne lâchez rien et persévérez. »
QUESTIONS BONUS
TON SURNOM PRÉFÉRÉ : Alex pour les intimes ou Corsica quand je suis en mode combat. Quand on m’appelle Alexan- dra c’est que j’ai fait une bêtise.
TON PÉCHÉ MIGNON : Les crêpes, j’adore les crêpes. Je suis très gourmande.
UNE DE TES QUALITÉS : Je suis une battante.
UN DE TES DÉFAUTS : Je suis susceptible, (rires).
TON CHOIX DE RÉINCARNATION : En un majestueux tigre blanc. Le blanc est très important pour le style (rires).
TA PLUS GRANDE PASSION, OUTRE LE KARATÉ : Les voyages ou le sport en général. Je me suis rendue compte que j’adorais la musculation et l’haltérophilie, par exemple.
TA DESTINATION DE RÊVE : La Polynésie française.
UNE ANECDOTE UN PEU HONTEUSE : J’aime beaucoup le Nutella et j’avais la mauvaise habitude d’en manger à la cuillère. Mes parents font aujourd’hui très attention et plus personne n’en achète autour de moi.