On emploie souvent l’expression « mener la danse ». Parfois, le mouvement est salutaire pour traverser une épreuve, une maladie, un handicap. Pour mieux comprendre les champs de compétences sur lesquelles interviennent ces thérapeutes pas comme les autres, nous sommes allés à la rencontre de deux d’entre elles. Nathalie Chazeau, en séance individuelle en cabinet, et Shéhérazade Boyer Tami, en séance collective en institut médical. Si la danse thérapie est née dans le champ des maladies mentales, on constate aujourd’hui que son action est vaste et profonde.
Par Léa Borie
Extrait du magazine WOMEN SPORTS N°22 d’octobre-novembre-décembre 2021
La danse thérapie individuelle
Pour se saisir de l’ambiance, sans pouvoir s’immiscer dans une séance aussi personnelle et intime que la danse thérapie, nous nous sommes rendus au cabinet de Nathalie Chazeau, praticienne de danse thérapie à Lyon (69). Nous pénétrons dans une pièce aussi immense qu’intimiste. Un sol en parquet accueillant, plusieurs hautes fenêtres avec des voilages qui préservent de l’extérieur.
Deux fauteuils en osier se font face près d’une ancienne cheminée, c’est là que Nathalie nous attend pour notre entretien, les pieds reposant sur un coussin. Elle nous retrace alors ce qui l’a conduit là où elle est aujourd’hui, à sa juste place.
Des danses, des approches
La danse a toujours fait partie de la vie de Nathalie Chazeau. De son enfance dansée, elle se souvient surtout de moments forts lors des temps d’impro’. Après avoir fait danse étude, elle se lance en tant que médiatrice dans le milieu du handicap. Une soudaine blessure au genou la pousse à remettre en question sa manière de danser, lui apporte une envie d’aller vers autre chose.
Sa formation à la Body Mind Centering lui permet de retrouver l’expérience du système du corps qu’elle avait vécu enfant, quand le Tamalpa Institute (Life Art Process) lui fait travailler les zones d’ombres. En parallèle, elle pratique la thérapie psychocorporelle et se sert de tous ces outils pour accompagner sa patientèle, afin que chacun aborde son corps et le soin différemment.
« Souvent, on essayera de solutionner une tension chez un kiné ou un psy, mais le mouvement actif et expressif peut être une autre voie à creuser, notamment chez les personnes au parcours de soin complexe, avec des problèmes résurgents. »
Et si la thérapeute détient plusieurs formations et tient à transmettre ce qu’elle a reçu, elle est toujours à l’écoute de conseils. C’est pourquoi elle est supervisée une fois par mois par une psychologue à Paris sur les patients vus en danse thérapie, « pour être sûre de ne pas être passée à côté de quelque chose », grâce à une base filmée pendant ses séances.
Accompagner un mieux-être
Nathalie Chazeau insiste, « on ne travaille pas impunément sur le corps, il y a des choses qui sortent. En atelier de danse, on est là pour le fun alors qu’en danse thérapie, c’est parfois moins évident. Il faut s’accrocher, c’est un jeu mais un jeu sérieux ». Ce qui explique, d’après la danse thérapeute, que cette pratique ne soit pas pour tout le monde, « cela dépend du degré de tolérance ».
Si la durée du suivi est très variable d’une personne à l’autre, la constante est la définition d’un objectif en début de cycle. Aucun code pour démarrer ses séances.
Fonction de son ressenti, la praticienne peut utiliser les jeux de miroir, de distance, de contact si nécessaire pour activer et remettre en mouvement ce qui a besoin de l’être. Au sein d’une même séance, elle y insère des phases, un climat, afin que le moment douloureux ne soit pas celui de la conclusion.
Un engagement entier du praticien
Pour Nathalie Chazeau, cette danse contact investie représente un engagement sans concession. Ce qui peut donner lieu à des transferts de douleurs de patients. Ne pouvant se cacher, la praticienne reçoit les choses et doit les encaisser.
C’est pourquoi elle a mis en place des exercices d’encrage et de recentrage entre ses consultations. Si elle reste prudente sur le mot guérison, Nathalie est persuadée que cette pratique aide à être plus présent à soi. Elle accompagne ainsi des personnes souffrant d’anorexie, de trisomie 21, de burn out ou tout autre « problème suffisamment important pour avoir envie de s’investir dans un tel suivi ».
La danse thérapie collective
Vous l’aurez compris, la danse thérapie aide à se réparer d’une faille, d’une blessure… Nous avons cherché à comprendre les mécanismes mis en place dans le cadre de maladies plus lourdes, au sein d’un groupe.
C’est comme ça que nous avons frappé à la porte de l’Institut Rafaël, maison de l’après cancer à Levallois-Perret (92), et précisément auprès de la praticienne spécialisée, Shéhérazade Boyer Tami. Interview.
WS : Qu’est-ce qui vous a mené à la danse thérapie collective ?
Shéhérazade Boyer Tami : Nord-Africaine de culture, la danse a toujours fait partie de ma vie, de mon ADN même. Je la perçois comme un moyen de réconciliation, un moyen de penser ses émotions. Elle nous accompagne dans tous nos moments de vie. Elle est synonyme de joie et de spiritualité.
C’est même un moyen de guérir, de se réguler comme dans la danse transe marocaine chez les Gnawa. Petite, j’avais appris la danse classique mais mon corps n’en a pas voulu. Je suis donc allée chercher d’autres danses, pour arriver à la danse orientale, à mes 20 ans.
Ça a été pour moi le moyen de me réconcilier avec mon moi féminin. J’ai ensuite monté mon collectif, La danse des femmes, devenue méthode de développement personnel. J’ai eu ensuite besoin de trouver la liberté du mouvement ailleurs que dans la danse orientale, que je trouvais très codifiée. J’ai tissé un univers autour du bien-être, en me formant à la danse thérapie, à la méditation et à la sophrologie.
Dans le même temps, un proche a été touché par le cancer. J’ai fait un spectacle pour soutenir la recherche pour la santé des femmes, ai participé à Octobre Rose… pour finir par investir une salle de soins de l’Institut Rafaël en 2018, afin de permettre aux soignés de mieux appréhender leur traitement.
Qu’est-ce que la danse thérapie pour vous ?
Cette pratique d’art thérapie, à la croisée entre la psychomotricité et la thérapie à médiation corporelle, engage tout le corps et crée une résonnance avec la psyché afin de libérer son corps de ses « cuirasses ».
À la différence de l’art, la danse ne laisse pas de trace mais résonne en soi et permet de mieux se comprendre. Ce n’est pas un cours de danse avec une fin esthétique pour satisfaire un public. On désigne ici un moment où on se raconte à soi.
En quoi la danse thérapie peut aider ces personnes qui souffrent d’un cancer ?
L’adhésion thérapeutique peut être difficile. Dans la danse thérapie, on crée un moment de pleine présence. On quitte l’émotion de la peur de la maladie pour être dans son corps.
Je me souviens de l’expérience d’une patiente qui m’avait expliqué avoir été tellement déconnectée de son corps qu’elle n’avait pas vu qu’elle avait un sein énorme, presque défiguré ; parce que vivant dans une société qui cultive le mental. Or la danse nous renvoie à notre énergie vitale qui circule à l’intérieur de nous, cette joie spinozienne.
Sur un corps figé, elle permet d’ouvrir le geste, notamment chez les patients qui viennent d’apprendre leur maladie, moment traumatisant de vulnérabilité exacerbée. Contrairement à un suivi de kiné par exemple, ce type d’activité rend la personne actrice, consciente d’un corps capable et autonome.
Qu’est-ce qui est proposé à l’Institut Rafaël ?
Une thérapie de groupe fermé de 6 à 12 patients pour 7 séances de 2 heures une à deux fois par semaine. Ce soin-atelier démarre par un entretien individuel afin de définir un objectif. Je vais alors chercher à comprendre les blocages du patient, et mettre un point d’honneur à rappeler qu’il ne se définit pas uniquement par son histoire médicale.
Je cherche à définir ses forces, ses ressources, sa relation à ses proches, ses symptômes, etc. et ainsi lui donne les clés pour traverser au mieux ses traitements. Ce processus est là pour lui rappeler que le cancer n’est qu’une étape, qu’un moyen de faire l’expérience de ce que Boris Cyrulnik a appelé la résilience.
La vie ne sera jamais celle d’hier mais aujourd’hui, il faut ouvrir le champ des possibles, et se constituer une boîte à outils dans laquelle puiser au quotidien, afin de vivre avec un corps partenaire et non avec un corps qui semble trahir.
Chaque séance se décompose en trois temps : l’accordage à soi, comme on accorde un piano, afin de jouer de sa pleine musique, avec toutes ses gammes.
Ce grâce à des exercices de méditation pour arriver à l’état de conscience modifiée et des exercices de respiration en visitant les articulations du corps, souvent les yeux fermés pour entendre le vent dans la poitrine. Vient le temps des jeux, régressifs, pour se reconnecter à notre enfant intérieur oublié. Pour finir avec un temps d’échange.
Pourquoi avoir choisi un accompagnement en groupe ? Est-ce un frein pour certains ?
La rencontre avec l’autre est quelque chose qui rassure. Ça peut aussi avoir ce côté motivant de voir une personne à un stade de guérison plus avancé que soi, de projeter ce qu’on sera, grâce à l’altérité fondamentale.
On parle peu de la maladie pour laisser place à une dynamique de joie. Je ne dis pas que tout est rose, il y a des pleurs, de la colère, de la peur, mais aussi beaucoup de bienveillance. Toutes les pathologies de cancer sont concernées, à tous les stades, pour tous les âges.
En trois ans, 1 000 patients ont dansé à l’Institut Rafaël. Les groupes sont pensés pour être mixtes mais très peu d’hommes s’inscrivent, pensant à tort que ce n’est pas pour eux.
Pour aller plus loin :
Un conseil lecture : « Faites danser votre cerveau », Lucy Vincent, Editions Odile Jacob, 18,90 €