Mélina Robert-Michon est une figure emblématique du sport français. La spécialiste du lancer de disque, âgée de 44 ans, va d’ailleurs participer à sa septième olympiade cette année, à Paris. Une édition qui sonnera comme une revanche pour la Française, qui a vécu une énorme désillusion aux derniers Jeux Olympiques, en 2021. Une expérience difficile dont elle ressort plus forte. Entretien. PROPOS RECUEILLIS PAR VANESSA MAUREL. Extrait du WOMEN SPORTS N°32.
WOMEN SPORTS : VOUS AVEZ TERMINÉ 15E DES DERNIERS JEUX OLYMPIQUES DE 2021 À TOKYO. QUALIFIEZ-VOUS CE RÉSULTAT COMME UN ÉCHEC ?
MÉLINA ROBERT-MICHON : Complètement. Pour remettre dans le contexte, c’était en 2021, les Jeux avaient été reportés en raison de la Covid-19. La préparation avait été perturbée parce qu’il y avait encore pas mal de restrictions. C’était complètement différent des préparations que j’avais pu vivre jusque-là. Je pense qu’en 2020 j’étais prête. Pas en 2021. Avec le recul, je ne vais pas dire que c’était prévisible, mais il y avait quelques signes qui prouvaient que tout n’était pas aligné… Par exemple, l’entraînement était un peu plus dur, j’étais beaucoup dans le doute, j’avais souvent besoin de me rassurer. Avec la pression de l’événement tout s’est démultiplié.
COMMENT VOUS-ÊTES VOUS SENTIE MENTALEMENT ?
Ça a été très dur. Ne pas passer le cap des qualifications ne m’était pas arrivé sur un grand championnat depuis très longtemps. Du coup, ça a été assez violent pour moi. Je me suis demandé comment ça avait pu m’arriver ? J’ai eu beaucoup de mal à digérer.
COMBIEN DE TEMPS VOUS A-T-IL FALLU POUR LE DIGÉRER ?
Je pense que pour le digérer complètement, ça a pris plus d’un an. Ça avait vraiment touché ma confiance. Ça a provoqué une grosse remise en question. Je me suis même dit ‘peut-être que je ne sais plus faire ?’ Il y a eu la déception, la tristesse, il y a eu presque la dépression, même si je ne suis pas allée aussi loin que d’autres athlètes. C’est toute une phase de deuil à faire, de dire que c’est fini, qu’il faut passer à autre chose. Et ça prend du temps. Je pense que c’est important de ne pas se cacher de ça. Il ne faut pas simplement se dire « ça va aller ». Il faut que ça sorte. Si on l’enfouit au fond de nous, il y a un moment où ça va exploser. Il faut prendre le temps d’accueillir et accepter ses émotions, même négatives. Il faut en parler aux personnes en qui on a confiance. Ce qui m’a beaucoup aidée à passer à autre chose, c’est que mon entraîneur de toujours prenait sa retraite juste après les Jeux. C’était prévu de longue date. Mais cela a fait en sorte que je reparte avec un nouveau staff. C’est mon compagnon qui est devenu mon entraîneur. Ça m’a permis de changer tous les repères que je pouvais avoir. Ça m’a vraiment été bénéfique, tout comme le travail que j’avais déjà entrepris avec la psychologue.
AVEZ-VOUS MODIFIÉ VOS ENTRAÎNEMENTS ?
Dans les grandes lignes, c’est à peu près la même chose. Et en même temps, c’est différent parce que ce n’est pas la même personne. Les principes sont les mêmes, mais ça m’a permis de redéfinir ce que je voulais, ce que je ne voulais plus. Techniquement, je voulais qu’on reparte de la base. Je suis en revanche restée sur le même rythme. Et je dirais même que j’accepte plus de me reposer. Je pense que ça aussi ça a joué lors des derniers JO : j’ai peut-être moins bien géré la fatigue. Si un jour je me sens plus fatiguée, j’accepte plus facilement d’adapter la séance ou de changer. Lorsqu’on fait le calcul, on se rend compte qu’on ne gagne pas de temps à vouloir aller trop loin et en faire trop. Cela demande une longue période pour récupérer et par conséquent, vous faites moins de séances. Reposée, les séances sont aussi de meilleure qualité.
QUE DIRIEZ-VOUS À UNE ATHLÈTE QUI CONNAÎT CETTE DÉCEPTION DES JO?
De faire le bilan, de regarder la vérité en face, d’analyser les erreurs commises. Ce n’est pas en se cachant derrière l’entraîneur ou derrière tout ça que ça peut marcher.
C’est dur de se remettre en cause, mais c’est nécessaire. En 2015, année précédant les JO, ont eu lieu les championnats du monde à Pékin. Ça ne s’est pas du tout passé comme prévu pour moi. J’arrivais avec le statut de favorite et je suis passée complètement à travers parce que je n’ai pas su gérer cette pression-là. Et je pense que ma médaille de Rio l’année d’après se gagne un petit peu ici. Pourquoi ? Parce que ça a été une claque où je me suis dit ‘si je ne suis pas capable de tenir la pression, comment je vais faire l’année prochaine ?’. Ça m’avait vraiment servi. Malheureusement ça fait partie du jeu. Tous les champions ont vécu un ou des échecs à un moment donné de leur carrière. Qu’est-ce que vous faites de ça ? Soit tu te dis, j’arrête et tant pis. Mais sinon, c’est peut-être ce petit coup de pied aux fesses qui va faire que vous allez revenir meilleur. L’échec est un mot qui fait peur. Mais à partir du moment où on est athlète de haut niveau, je pense qu’il faut intégrer le fait que ça peut arriver.
Question ultime : Quels sont vos objectifs pour les JO ?
Forcément, ça serait une médaille. En fait, cette déception de Tokyo, c’était aussi une motivation de me dire que je n’avais pas envie de finir là-dessus. J’ai envie de repartir en étant fière de moi, donc forcément avec une médaille. Après, ça reste du sport. On peut aussi être fier parfois sans la médaille parce que si je me dis que je bats mon record, que j’ai fait tout ce que je pou- vais et qu’il n’y a pas la médaille, c’est différent que de repartir en ne me réalisant pas.