« Une olympiade femelle serait impratique, inintéressante, inesthétique et incorrecte. » « Femelle » donc… Ce sont les mots, rédigés en français, avec l’aval de ce bon vieux Pierre de Coubertin, le rénovateur des Jeux Olympiques en 1912 sur le compte-rendu officiel de l’édition de Stockholm. Des mots d’une misogynie terrible qui ne sont finalement pas si indissociables de l’actualité moderne. Malheureusement. Dans ces prochaines lignes, vous allez découvrir que certains sports étaient simplement interdits aux femmes il y a encore très peu de temps. Et parfois, les raisons sont très « limite ». PAR RUBEN DIAS. Extrait du WOMEN SPORTS N°31.
LE GOLF : LADIES FORBIDDEN ?
Inventé en Écosse au cours du XVe siècle, le golf était le sport interdit aux femmes par excellence. Et cela, dès son nom. Le mot « golf » tirerait ses origines d’un acronyme : « Gentlemen Only, Ladies Forbidden », ce qui signifie « Messieurs seulement, femmes interdites ». Bon, ne rêvassez pas trop puisque cette légende urbaine est totalement fausse. Selon le Scottish Golf History, le nom du sport serait plutôt un dérivé d’un vieux mot signifiant « club ». D’ailleurs, avant la création des dictionnaires, il n’existait aucune orthographe standardisée pour ce mot. Les gens écrivaient phonétiquement : Goff, gowf, golf, goif, goiff, gof, gowfe, gouff et golve. Rien à voir aux premiers abords avec une éventuelle interdiction à la gente féminine. D’ailleurs, la première mention sur des femmes jouant au golf se trouve à Bruntsfield Links en 1738… En compétitions officielles pourtant, il a fallu attendre 1990, avant que le golf ne soit officiellement ouvert à ces dernières… La définition d’une blague qui a mal tourné ?
LE RUGBY : INTERDIT POUR « PRÉSERVER LA DIGNITÉ DES FEMMES »
Pays de l’Ovalie, la France est une pionnière du rugby. Mais si aujourd’hui, selon les chiffres de la fédération, il y a plus de 26 000 joueuses dans le pays, les femmes n’avaient pas le droit de le pratiquer avant les années 20. Précédemment, il était pratiqué de manière clandestine. À cette époque, la docteure en médecine Marie Houdré adapte les règles du rugby pour les femmes. Pourtant, une campagne de presse juge ce sport « inadapté à la morphologie des femmes qui étaient censées devenir des bonnes mères », explique notamment la journaliste Isabelle Collombat dans des propos repris par France Inter. Pour la société, ce sport ne correspond pas à l’image de la femme. D’ailleurs, Suzanne Lenglen, la championne de tennis, elle-même, disait que « ce n’était pas esthétique, pas beau pour les femmes »…
Il faudra attendre les années 60 pour que cette vision change. Des étudiantes lyonnaises organisent un événement d’ampleur en proposant aux joueuses de Bourg-en-Bresse de disputer un match et l’événement sera un succès. Le secrétaire d’État à la Jeunesse et aux Sports, Marceau Crespin, par le biais d’une lettre au préfet, envoyée dans toute la France, demande de faire en sorte que toutes les infrastructures ne soient pas mises à disposition des femmes… Dis-moi que tu me l’interdis, sans me dire que tu l’interdis. Le rugby féminin se démocratise ensuite comme une activité clandestine. « Les joueuses jouent dans les champs et se lavent dans les rivières, faute de vestiaires », toujours selon Isabelle Collombat. C’est autour de Bourg-en-Bresse, berceau du rugby féminin que les femmes s’organisent, et réalisent même un championnat malgré l’interdiction. Et si aujourd’hui tout cela semble de l’histoire très ancienne, la fédération française de rugby mettra du temps à l’accepter. « Même en 2014, quand la France doit organiser la Coupe du monde de rugby, la fédération n’est pas très enthousiaste », conclut Isabelle Collombat… En 2017, les îles Tonga ont interdit aux filles le rugby, et la boxe, afin de « préserver la dignité des Tongiennes »… Comme quoi, il y a encore du chemin.
L’HALTÉROPHILIE AU FÉMININ
Les premiers émois de l’haltérophilie féminine datent notamment d’une certaine Pudgy Stockton aux USA dans les années 40. En France, et si ce sport fait parler de lui dès 1840, la pratique ne s’ouvre aux femmes que dans les années 1980. En 1989, elles sont trois-cents à le pratiquer en compétition. En 2016, la fédération comptait environ 31 590 licenciés dont 35% de femmes, en 2022, le constat est une augmentation à 40% selon les chiffres de Sports.Gouv.fr. En compétition officielles, et notamment aux JO, il a fallu attendre 2000 et l’édition de Sydney, pour voir l’haltérophilie, réservée jusqu’alors aux hommes, s’ouvrir aux femmes.
LE SAUT À SKI : HISTORIQUEMENT MASCULIN
« Ce n’est pas adapté aux femmes d’un point de vue médical », lâchait en 2005 Gian-Franco Kasper, le président de la Fédération internationale de ski… Sauter, se jeter dans les airs, cela était considéré comme bien trop dangereux pour de fragiles guiboles féminines. Certains expliquant même que la décharge de sensations fortes pouvait les rendre stériles… En 1991, le CIO décide enfin que tout nouveau sport doit proposer des épreuves féminines. Presque parfait. Ce n’est qu’en 2014 et les Jeux Olympiques d’hiver à Sotchi que les femmes prennent place pour la première fois en haut des rampes. Alors qu’en 1924, il était déjà autorisé aux hommes. 90 ans d’attente donc. Et comme rien n’est jamais tout rose, en 2022, à Pékin, la FIS a été accusée de « détruire le saut à ski féminin » par l’Allemande Katharia Althaus, vice-championne olympique, disqualifiée comme 4 autres concurrentes pour une combinaison non conforme. Le tout alors qu’aucune concurrente n’avait été disqualifiée lors de l’épreuve individuelle, et aucun homme n’a été disqualifié lors de l’épreuve mixte.
Pour le vol à ski, dérivé du saut ou les athlètes volent à plus de 100km/h sur plus de 200 m en l’air, ce n’est qu’à la Coupe du monde 2022/23 que les femmes participeront. Et là encore, c’est encadré, puisque seules celles qui sont majeures peuvent y aller. Pourtant la Slovénie, le Japon, l’Autriche et l’Allemagne avaient posé leur veto. D’ailleurs, cette épreuve ne rentrera pas dans le cadre officiel de la Coupe du monde à cause de la limitation du nombre de sauteuses. Un long combat contre les préjugés pas totalement remporté donc.
LA BOXE : SPORT TROP DANGEREUX ?
Jugée trop dangereuse, la boxe n’est autorisée aux femmes qu’à partir de 1998. Et si quelques mois auparavant elle est reconnue comme discipline féminine par l’Association internationale de boxe amateur (AIBA), il n’existe toujours pas de compétitions officielles. Pour cela, il faudra encore patienter 3 ans et 2002 pour voir apparaître les premiers championnats du monde féminins. Pour les JO, ce n’est que depuis 2012 et les olympiades de Londres, que les femmes peuvent monter sur un ring. Aujourd’hui, elles sont près de 8 000 licenciées en France selon la FFBoxe.
LE CANOË : UN RISQUE POUR DE FUTURES GROSSESSES ?
Le canoë a longtemps été interdit aux femmes aux JO. Et cela pour une raison bien particulière. « Concourir à genoux déformerait le bassin et pourrait engendrer des risques pour de futures grossesses », a expliqué Sylvain Landa, historien du sport pour Ouest France. Jusqu’à peu, les femmes ne pouvaient se battre pour l’or qu’en kayak. L’ouverture de ce sport aux femmes ne s’est fait que lors des jeux de 2020, 100 ans après les hommes.
Il était peut-être temps.
Corps trop frêle, pratiques trop violentes, santé trop fragile… tous les prétextes ont été bons pour interdire aux femmes de pratiquer certains sports.
La lutte gréco-romaine est par exemple aujourd’hui toujours interdite aux femmes en compétition. Le combiné nordique (saut à ski et ski de fond) reste lui aussi exclusivement masculin aux JO. Le saut féminin, sur grand tremplin, fera son apparition pour les femmes pour la première fois en 2026…
En 1936, Pierre de Coubertin continue de se montrer bien trop hostile à la participation des femmes aux Jeux. « Le seul véritable héros olympique, je l’ai dit, c’est l’adulte mâle individuel. Par conséquent, ni femmes ni sports d’équipes », avait-il lancé. Pourtant les sportifs masculins sont aussi victimes de discriminations. La natation synchronisée et la gymnastique rythmique ne sont pas proposés aux hommes aux JO en raison, d’après le Comité International Olympique, d’un nombre trop peu important de participants. Il y aura donc du travail avant d’atteindre cette fameuse parité aux JO 2024 et 2026 à Paris et Milan.