Marine Noret, 21 ans, sportive passionnée de triathlon, est détentrice d’un diplôme STAPS. C’est aussi une jeune femme qui a été marquée par l’anorexie. La sportive nous raconte l’histoire de sa destruction et de sa reconstruction à cause et grâce au sport. Entretien et extraits de son livre « Ma victoire contre l’anorexie ».
Par Léa Borie
Extrait du magazine WOMEN SPORTS N.13 de juillet-août-septembre 2019
L’anorexie mentale : l’entrée dans une spirale infernale
36,5 kg pour 1m60. Marine est hospitalisée d’urgence. Elle a 17 ans et a retrouvé un corps d’enfant, l’insouciance en moins. L’origine de ce cercle infernal ? Il est multifactoriel. La jeune femme a évolué avec une image complexe de la féminité, sa maman s’étant toujours trouvée trop ronde. Son père se montrait violent pendant son enfance. Ses petits copains lui faisaient des remarques sur ses rondeurs. « Mais tout ça, je l’ai compris bien plus tard », nous explique Marine avec le recul qu’elle a, 4 ans après le début de sa maladie. En sombrant dans l’anorexie, elle voulait crier à l’aide avec son corps. « Je mentais constamment à tout le monde, même si je pense que la première personne à laquelle j’ai le plus menti reste moi-même. (…) Je ne pouvais plus me regarder sans voir quelqu’un d’autre dans le miroir », explique Marine dans son livre. «A ce moment de ma vie, non seulement je perdais totalement pied avec la réalité, mais au-delà de ça, je faisais continuellement des pas en arrière en maturité. Comme si, depuis des mois, je recherchais toute l’attention de ma famille et que je voulais redevenir une enfant. Vous savez, ces moments, où, petit, l’on attrapait un rhume, et ils prenaient leur journée pour nous la consacrer et nous dorloter. Je n’attendais que ça, que l’on s’occupe de moi, car me concernant, je n’en n’avais plus du tout la force.»
A travers certains passages de son livre correspondant à la période de son hospitalisation, on comprend la spirale infernale dans laquelle elle a sombré malgré elle sans pouvoir revenir en arrière : «Manger, manger, manger, manger ! Ce mot représentait le diable en personne. (…) J’en ai marre, je préfèrerais mourir que de manger. (…) Dans ma tête, je ne voulais qu’une chose, à tout prix : disparaître. (…) Dans ma tête, tout se bousculait, j’étais partagée entre l’idée que je voulais encore perdre du poids et en même temps l’idée que je me sentais mourir à petit feu et que j’avais cruellement besoin d’aide. (…) L’anorexie était pour moi comme un moyen de doucement disparaître, je ne voulais rien et je n’attendais plus rien de la vie si ce n’est qu’on me l’a reprenne.»
S’enfermer pour mieux se libérer de l’anorexie
A cette époque, le sport était un outil qui accompagnait sa perte de poids rapide. Il a aussi été la carotte, grâce à l’ultimatum que lui a posé sa mère : «On me disait : Si tu reprends 2 kg, tu pourras reprendre la course 20 minutes». Durant cette étape de bigorexie, il lui était impossible de louper un entraînement. Mais c’est finalement ainsi qu’elle a réussi à transformer cet outil de destruction massive en un outil de reconstruction. «J’ai compris que si je voulais pouvoir faire autant de sport (pour préparer des triathlons), il fallait que je mange». Suite à ce déclic, celle qu’on appelait «la petite crevette» n’a rien lâché : «Je ne me suis jamais autant accrochée à la vie (…) J’aimais terriblement la sensation d’être bien vivante que l’athlétisme me procurait» (…) Même si dans le fond, je continuais à avoir quelques restes de troubles du comportement alimentaire, je ne cessais de croire que le sport me permettait de leur faire face. (…) J’ai compris que nos seules limites étaient celles que nous nous imposions (…) Que ce corps que je rejetais était en fait une belle machine. (…) J’ai trouvé dans le sport le moyen de m’exprimer et de faire ressortir le meilleur de moi-même : ma hargne, et ma soif d’aventure. Comme un moyen d’expression, le sport a été le chemin libérateur vers l’acceptation et la renaissance. »
Comment ne pas retomber dans l’anorexie ?
Marine déplore dans son récit avoir été plus gavée physiquement que soignée psychologiquement lors de son hospitalisation. «Je ne suis pas qu’un chiffre sur une balance, je suis également un cerveau malade en contrôle permanent qui a besoin d’aide. Ce n’est pas avec des calories forcées qu’on me permettra de m’en sortir.»
Mais au fil du temps, malgré une rechute au sortir de l’hôpital, elle a enfin réussi à sortir peu à peu la tête de l’eau. « Aujourd’hui, je n’ai plus honte, je suis bien dans mon corps. Un médecin m’avait dit ‘Tu ne sortiras jamais de l’anorexie’. Alors oui, l’anorexie fera toujours partie de moi, mais je la vois comme une partie de ma vie. Je ne suis pas déterminée par mon passé. Je tiens énormément à ce que j’ai pu construire pour risquer de retomber dedans. Ça ne me détruit plus aujourd’hui.» Elle reste lucide sur ses fragilités malgré tout. «J’ai compris au fil des semaines que tout n’était pas réglé avec l’anorexie mentale et qu’il ne faut jamais crier victoire car elle finit toujours par revenir dans vos moments de faiblesse. C’est une maladie avec laquelle on apprend à vivre. A chaque moment difficile, c’est sans doute elle qui se manifestera en premier.» Une pensée que partage sa maman, qui témoigne dans son livre : « Dans cette maladie, il ne fallait pas chercher à comprendre, car rien n’était rationnel. Ce n’est pas une maladie mentale pour rien, cela échappe à tous les repères. »
C’est pourquoi Marine n’oublie pas qu’elle a su se battre, et qu’elle ne cessera de garder cette niaque qui lui a permis de s’en sortir. « L’anorexie est une maladie mentale qui emporte sur son passage l’estime de soi, l’amour des proches mis à rude épreuve et nous-même. Ce qui nous sauvera, ce sera pourtant également ce qui a causé notre perte : le mental. Ouvrir les yeux, se prendre en main, s’accrocher. Quand la force physique n’est plus là, la force mentale prend le relais. Mais cette fois à bon escient. (…) Ce mental, je ne l’ai pas construit du jour au lendemain, mais je me suis intimement persuadée que l’anorexie m’y a étroitement préparée. Ce besoin constant d’aller tester mes limites, cette quête du toujours plus, je les dois à ma maladie, comme si elle sommeillait en moi, mais se présentait sous d’autres formes. La différence, c’est qu’aujourd’hui, ce n’est plus un fardeau qui m’empêche de vivre, mais une force qui me pousse à exister. »
Et ce corps aujourd’hui est le sien. «Et même s’il porte encore les cicatrices de tout ce que j’ai pu lui faire subir, il me permet de réaliser de très grandes choses.»
« Le courage, c’est d’avoir peur et d’y aller quand-même ! »
Son livre sur son combat contre l’anorexie est alors une «rampe de lancement», et sa pratique sportive «une revanche sur la vie». «Cette fois, je le fais pour moi. Je crée mon avenir. Je n’ai plus peur d’y aller (…) Ma leçon a été de comprendre que la vie ne se vivait pas dans le contrôle, mais au contraire dans le lâcher prise.»
Un virage, une ouverture sur les autres
Suite à des études de STAPS, Marine réalise qu’elle ne veut pas être prof d’EPS mais qu’elle tient à aider les gens à aller au-delà de leurs blocages et de leurs peurs psychologiques grâce à la préparation mentale. «Après tout ce que j’ai vécu, j’utilise beaucoup mes expériences personnelles. Après mon trouble, je vois les choses différemment, je suis beaucoup dans la parole, le lâcher-prise pour trouver des solutions aux sportifs (…) J’ai fait de ma plus grosse faiblesse ma force de frappe. Chaque jour, quand je pèse les risques, je me dis que j’ai vécu beaucoup plus de choses. Ça me fait relativiser. Mon expérience de vie me permet de ne pas m’écrouler, de ne plus m’écrouler.» Et de conclure : «C’est une manière de me dire : ‘Venge-toi de ton histoire, fais-en une force et déchire-toi’».
Bon courage à toi Marine, on croit en toi. Merci pour ce bel échange très touchant.
Ma victoire contre l’anorexie, Marine Noret, Edition Amphora, avril 2019.