Récit d’une ascension fulgurante
Né sur les cendres de l’Arvor 29 – Pays de Brest, qui a sombré financièrement en 2012, le Brest Bretagne Handball a réussi l’immense exploit, en seulement six ans, de se hisser tout en haut de l’affiche du handball féminin tricolore. Avec son recrutement cinq étoiles et ses 4,5 millions d’euros de budget, le club du Finistère fait jaser autant qu’il fait briller les couleurs de la Bretagne. Nous avons rencontré quelques uns de ses protagonistes à Brest. Joueuse, dirigeant, partenaire… ils nous dévoilent les recettes d’un succès incontesté.
REPORTAGE : FLORIANE CANTORO
PHOTOS : OLIVIER STEPHAN MARC GLEN ET BBH
Extrait du magazine WOMEN SPORTS N.9 de juillet-août-septembre 2018.
C’est l’histoire d’un club qui, en six ans, est passé du championnat de Nationale 1, troisième division en France, à la Ligue des Champions, compétition continentale de référence entre les grands clubs d’Europe. Tout sauf ce que l’on appelle une entrée timide ! Le Brest Bretagne Handball – BBH pour les intimes – vient d’achever sa deuxième saison au plus haut-niveau du handball féminin tricolore, le championnat de D1. Comme l’année dernière, le club finistérien a terminé sur la deuxième marche du podium. Et, comme l’année dernière, les Brestoises ont buté en finale sur l’expérience des Messines qui dominent la compétition depuis plusieurs décennies (22 titres). Pourtant, lorsqu’on parle du BBH, l’heure est plutôt à l’admiration. Comment ce jeune club est-il parvenu, en seulement six ans, à bouleverser autant le paysage handballistique français ?
Tout commence en 2012, quand l’Arvor 29 – Pays de Brest, pourtant champion de France de D1, est rétrogradé en Nationale 1 pour mauvaise gestion financière. Gérard Le Saint et Denis Le Saint, deux chefs d’entreprise de la région, sont contactés par le bureau de l’époque pour redresser le club. Les deux frères, qui dirigent le réseau familial breton de distribution de fruits, légumes et produits frais Le Saint, donnent un nouvel élan au club et une nouvelle identité. C’est le début du Brest Bretagne Handball, un club qui va venir chambouler les codes d’un championnat qui ronronne. À tous les niveaux.
Un modèle économique prospère
Gérard et Denis Le Saint n’ont pas fait qu’apporter leur nom au club ; ils ont également mis à disposition leur expérience professionnelle et leur engagement dans le sponsoring et le mécénat. Aussi, l’une des particularités du BBH, est la part de financements privés dans son budget, qui est de l’ordre de 91%. Gérard Le Saint, que nous avons rencontré dans les locaux de son entreprise à Guipavas, une commune voisine de Brest, se souvient du début de l’aventure : « Quand nous avons repris le club avec Denis, nous avons appelé toutes les entreprises voisines du «Pays des Abers» pour leur demander combien elles pouvaient donner aux filles du hand. Elles ont joué le jeu, sans doute par sympathie pour nous. » Aujourd’hui, ils sont 500 partenaires à soutenir le BBH, tous basés dans le département du Finistère, dans un rayon de 50 km autour de Brest. Les partenariats et le mécénat représentent d’ailleurs 78% du budget du club. Les autres financements privés proviennent de la billetterie grand public (10%), de la billetterie VIP (3%) et du merchandising (qui pèse pour l’instant moins de 1%). Les subventions publiques ne représentent quant à elles qu’une infime part du budget du club (9%), ce qui est assez rare pour un club de sport, qui plus est féminin !
Henri Léon, DG de SILL Entreprises : « De superbes prestations ! »
La SILL (Société Industrielle Laitière du Léon) soutient le handball féminin breton depuis l’époque de l’Arvor 29 – Pays de Brest. Après le dépôt de bilan du club en 2012, le groupe agroalimentaire, né en Bretagne en 1962 de l’association des familles Falc’hun et Léon, est contacté par Gérard Le Saint pour continuer l’aventure avec la nouvelle structure du Brest Bretagne Handball. Aujourd’hui, la SILL est sponsor maillot du club, notamment avec sa marque Plein Fruit. Partenaire de la voile par le passé, mais également du football, la SILL trouve dans le handball une ambiance et une proximité qui n’existent pas forcément dans d’autres sports. « Les prestations d’après-match sont de superbes prestations, explique Henri Léon, Directeur Général de SILL Entreprises. Les joueuses sont contentes de venir discuter avec les partenaires, elles sont accessibles. C’est un moment de partage, de rencontres. C’est vraiment très réussi ! » Le BBH le sait : un partenaire conquis est un partenaire durable.
« Chez les garçons, on serait le 5e budget après Paris, Nantes, Montpellier et Aix-en-Provence »
Pour la saison 2017-2018, le budget de fonctionnement du club était de 4,5 millions d’euros, assurant à Brest le plus gros portefeuille du championnat, loin devant Metz et Issy Paris et leurs quelque 2,5 millions d’euros chacun. Le budget du BBH devrait atteindre la barre des 5 millions d’euros la rentrée prochaine. Si certains regardent ces chiffres avec circonspection, Gérard Le Saint, lui, assume. « Chez les garçons, on serait le 5e budget après Paris, Nantes, Montpellier et Aix-en-Provence ». Convaincu que « le haut-niveau n’est pas un monde des Bisounours » comme il le rappelle souvent, le dirigeant breton donne à son club les moyens de ses ambitions.
Des rêves de grandeur bien préparés
Gérard Le Saint est honnête : « Au départ, l’idée était simplement de prêter un nom au club ». Pour ne pas laisser complètement mourir l’Arvor 29. D’ailleurs « nous sommes plus branchés football qu’handball à la base », précise le chef d’entreprise qui a offert leurs premiers survêtements aux joueurs du Stade Brestois en 1997. « Mais Brest a fini 2e de Nationale 1 dès la première année. Et quand tu finis 2e une année, tu vas chercher de nouveaux sponsors pour pouvoir faire mieux la saison prochaine. Finalement, on s’est rapidement pris au jeu », explique-t-il. Avec un parcours sportif comme celui de Brest, difficile en effet de ne pas être enrôlé dans la machine. « En six ans, notre plus mauvais résultat c’est 2e ». Pas mal !
« En six, notre plus mauvais résultat c’est 2e »
Connues localement, les ambitions brestoises ont eu un premier fort retentissement en 2015 avec l’arrivée de l’arrière espagnole Marta Mangué, double vice-championne d’Europe (2008 et 2014). Cette année-là, le club finistérien a réalisé un joli doublé en remportant le Championnat de 2e division (D2) et la Coupe de France, écrasant sur son passage les cadors de la discipline : Fleury, Metz et Toulon Saint- Cyr en finale. « On était en D2 mais on avait clairement un effectif de D1 ! », se souvient Marion Limal, arrivée au club en 2014. L’année d’après, le BBH a frappé encore plus fort en recrutant la star des Bleues : Allison Pineau (plus de 240 sélections en équipe de France). Cet hiver, la demi-centre de 28 ans, élue meilleure joueuse du monde par la Fédération internationale de handball en 2009, a prolongé son contrat avec Brest de trois saisons supplémentaires, soit jusqu’en 2021. « Elle croit au projet du club », explique Gérard Le Saint.
Ce projet, c’est la Ligue des Champions. Une compétition continentale où se côtoient les plus grands clubs européens dont le champion français, qualifié d’office (Metz, en l’occurence). Cette saison, le BBH a eu un premier aperçu du défi qui l’attend : grâce à une wildcard (invitation) offerte par la Ligue européenne de handball, le club breton a pu disputer les phases de poules de la compétition. Une opportunité sans précédent, bien préparée en amont. L’effectif de Laurent Bezeau avait notamment été renforcé par rapport à l’année précédente (18 joueuses pros contre 16), conséquence d’une expérience douloureuse sur la saison 2016-2017 où une série de blessures avait contraint l’équipe à tourner avec un petit nombre de joueuses. « On apprend vite de nos erreurs, c’est la force du club », analyse Amandine Tissier. Au BBH depuis 2015, la demi-centre de 24 ans reste étonnée quand il s’agit d’évoquer la progression fulgurante de son club d’adoption : « Quand j’ai débarqué à Brest, j’étais à des années lumières de penser que deux ans plus tard, je jouerais la Ligue des Champions. » Malgré des prestations de qualité, le club breton n’a pas dépassé les phases de poules et a été reversé en Coupe EHF (2e division européenne). Mais point n’est besoin de réussir pour persévérer. La saison prochaine, deux nouvelles joueuses viendront apporter de l’expérience à la formation de la pointe bretonne : la Slovène Ana Gros, dont le transfert de Metz à Brest a fait couler beaucoup d’encre cet hiver ; et la Suédoise Isabelle Gulldén, lauréate de la compétition en 2016 avec Bucarest. Deux recrues de taille ! « Il y a six ans, on a construit l’équipe avec les filles du coin. Aujourd’hui, les agents des plus grandes stars européennes nous téléphonent pour nous proposer leurs joueuses. Pourtant, on a presque rien gagné encore [ndlr : deux Coupes de France, en 2016 et 2018] », insiste le président du club. Pour se maintenir à ce niveau, le BBH va passer en société l’année prochaine (la partie amateur va conserver sa forme associative) et accueillera un préparateur mental.
BBH, moteur d’un championnat attractif
Le scepticisme qui entourait l’arrivée de Brest en handball féminin en 2012 s’est dissipé. Aujourd’hui, les clubs de D1 semblent globalement admiratifs de la formation de la pointe bretonne. « Les clubs sont prêts à évoluer, à progresser et à construire avec nous une ligue plus forte », note Gérard Le Saint. Avec ses homologues des autres clubs de D1, le président de Brest est chargé de préparer l’autonomie de la Ligue féminine de handball (LFH) qui organise le championnat. Aujourd’hui, elle est encore rattachée à la Fédération française de handball mais elle sera complètement indépendante à partir de 2020. Comme avec le BBH, Gérard Le Saint entend bien créer un produit cohérent et travaillé. « On aimerait trouver un gros sponsor comme Lild chez les hommes », explique-t-il [ndlr : le championnat masculin organisé par la Ligue nationale de handball fait l’objet d’un naming, la Lild Starligue]. L’autonomie de la ligue permettra de créer un championnat plus fort, donc plus attractif. Elle présente un grand intérêt pour les clubs qui pourront ainsi récupérer les droits TV. « Aujourd’hui, un club comme Nantes chez les hommes récupère 200.000 euros de droits TV par an. Nous zéro. Si on arrive à faire un bon produit, on pourra intéresser les chaînes », précise- t-il. « La saison prochaine, la Ligue féminine de handball sera sans doute l’un des cinq plus beaux championnats européens. D’ici quelques années, on pourrait avoir le plus beau du monde. »
L’amour de tout un territoire
Pour porter son projet sportif, le Brest Bretagne Handball s’appuie donc sur de solides fondations : une structure, un budget consolidé, un recrutement réussi. Mais aussi et surtout, un public. Lors des matchs à domicile, les «Rebelles» (surnom donné aux joueuses du BBH) peuvent compter sur les Bretons qui remplissent l’Arena de Brest à 90% en moyenne à chaque match, soit 3.700 spectateurs. Le tout dans une ambiance rythmée par les Supporters du Bout du Monde, le groupe des supporters du BBH. « Dans les autres clubs, on voit généralement les mêmes spectateurs à chaque match, des gens qui connaissent le handball, qui aiment le jeu. À Brest, on a un public plus populaire : des enfants, des grands-parents… Souvent ce sont les sponsors qui donnent leurs places à leurs familles quand les matches affichent complet. Ça crée une toute autre ambiance ! », analyse l’arrière gauche Marion Limal, passée par les clubs français de Besançon, Metz et Nîmes avant de poser ses valises en Bretagne.
« Partout où on va, il y a toujours un drapeau breton qui traîne quelque part ! »
Une autre particularité des supporters bretons est qu’ils se déplacent dans toute la France (et même en Europe !) pour donner de la voix et encourager leur équipe de coeur. « Partout où on va, il y a toujours un drapeau breton qui traîne quelque part ! », s’amuse Marion Limal. Cette année, ils sont plus de 1.500 à avoir fait le déplacement sur Paris le 5 mai 2018 pour la finale de la Coupe de France face à Toulon Saint-Cyr. Un élan de soutien incroyable pour les joueuses qui ont intégré l’effectif récemment, mais prévisible pour celles qui étaient déjà de l’aventure bretonne lors de la première finale de Brest en Coupe de France, en 2016 (déjà face à Toulon Saint-Cyr). Marion Limal et Amandine Tissier ont encore des étoiles plein les yeux lorsqu’elles repensent à cette rencontre. « C’était notre dernier match de la saison. On venait d’être sacrées championnes de France de D2, on montait en D1 et on avait terminé la compétition invaincues. On savait qu’il allait y avoir des supporters Bretons à Paris pour la finale, mais pas autant… Quand on est rentré sur le terrain, on a vu le mur blanc. C’était magique ! On s’est dit que c’était impossible de perdre », se rappellent les deux co-équipières du BBH. Le match s’est soldé par une large victoire de Brest (25-16).
La rentrée prochaine, Brest disputera sa troisième saison parmi les meilleurs clubs français. Avec les mêmes ingrédients que depuis ses débuts, le club breton tentera de passer du statut de chef, à celui de chef étoilé.
LA BRETAGNE, TERRE DE CHAMPIONNES
Les basketteuses de Landerneau, petites soeurs du BBHLe 12 mai 2018, le Landerneau Bretagne Basket (LBB) a obtenu sa montée e Ligue féminine de basket-ball, la première division. La saison prochaine, les basketteuses bretonnes vont donc évoluer dans le championnat élite et professionnel aux côtés des cadors de la discipline : Bourges (14 titres), Tarbes, Villeneuve d’Ascq… Elles rejoignent ainsi le Brest Bretagne Handball au plus haut-niveau du sport féminin national. D’ailleurs, il y a quelques similitudes avec les grandes soeurs du handball. D’abord, un projet solide, né en 2011 de la fusion de Pleyber-Christ et l’Elorn Olympique Landerneau. Le club ainsi formé porte le nom de Léon Trégor Basket 29 jusqu’à devenir, en 2015, le Landerneau Bretagne Basket. L’année suivante, la salle de la Cimenterie est inaugurée et, comme l’avait été la Brest Arena pour les handballeuses, cet équipement taillé pour accueillir des matchs de niveau européen donne au club des ambitions de montée. Ensuite, le budget. À l’image du BBH, les ressources de Landerneau, qui avoisinaient les 720.000 euros la saison dernière, proviennent en grande partie de financements privés ; seulement 26% proviendraient de subventions publiques. Ce budget devra atteindre 1 million d’euros l’année prochaine. Pour cela, le club compte sur la générosité et la fidélité de ses partenaires locaux. Enfin, le BBH et Landerneau présentent un dernier point commun : le public. Les basketteuses du LBB jouent systématiquement devant une salle comble à domicile. En résumé : un même projet, une même dynamique, un même engouement. Alors pourquoi pas les mêmes résultats ?