Il y a trente ans, elle devenait la première femme speakerine d’un stade de football en France. Anne-Sophie Roquette, voix officielle du Lille Olympique Sporting Club (LOSC) depuis 1989, a raccroché son micro en mai dernier. Pour Women Sports, l’animatrice de 56 ans a accepté de revenir sur ses trois décennies de bons et loyaux services sur la pelouse lilloise. Avec pour seul moteur, la passion, toujours. Souvenirs.
Par Floriane Cantoro – Photos : LOSC
Extrait du magazine WOMEN SPORTS N.14 d’octobre-novembre-décembre 2019
« Merci Anne-So ! Merci Anne-So, merci, merci, merci Anne-So ! », ont chanté les 42.000 spectateurs du stade Pierre Mauroy le 18 mai dernier. Pour ses adieux au LOSC, Anne-Sophie Roquette ne s’attendait pas à un tel accueil. Pourtant, après trente ans passés au micro du club, on n’aurait pas imaginé le contraire de la part des supporters lillois.
Tombée dans la marmite football à la naissance, par passion de « maman » pour le ballon rond, Anne-Sophie Roquette a toujours été une fervente supportrice des Dogues (surnom des footballeurs lillois). C’est en 1989 que l’histoire va définitivement la lier à son club de coeur, lorsqu’elle est choisie pour en devenir la voix officielle. « Le président du club en avait marre de recevoir des courriers de femmes de supporters mécontentes de voir leurs maris déserter la maison tous les week-ends, explique celle qui, petite, a tapé le ballon avec les frères Stéphane et Pascal Plancque, deux futurs joueurs lillois. Il a voulu leur montrer que le football était aussi un sport pour elles. Il s’est dit qu’en mettant une femme sur la pelouse, d’autres viendraient sûrement remplir les tribunes. » À l’époque, « Anne-So », 26 ans, travaillait sur VRN, la radio du quotidien régional La Voix du Nord ; elle y animait entre autres les soirées football. Quand le président du LOSC a annoncé qu’il cherchait une voix féminine pour son club, son nom a rapidement été proposé. Elle a ensuite passé un casting dans l’ancien stade Grimonprez-Jooris vide, avec deux autres candidats, deux hommes. « Le président a fait mine d’hésiter longuement », s’amuse Anne-Sophie qui sera bien entendu retenue pour le poste.
Le « douzième homme » des Dogues est une femme !
La Nordiste de 56 ans, par ailleurs présentatrice TV sur France 3 Hauts-de- France, ne se souvient absolument pas de son premier match au micro du LOSC. « Le black-out total. » Mais il y a certaines phrases qui l’ont quand même marquée. Des petites réflexions qui ont fusé depuis la tribune à ses débuts : « Rentre chez toi ! », « Retourne dans ta cuisine ! ». « Rien de bien méchant », rassure Anne-Sophie qui ne se gênait pas pour répondre, micro dans le dos. « Ça n’a pas duré longtemps. »
« Des petits « retourne dans ta cuisine ! » ont fusé au début, mais rien de bien méchant. »
La réalité c’est que les supporters lillois l’ont très vite adoptée. « Ils ont bien vu que j’étais passionnée et que j’aimais le club. » Elle est devenue leur représentante sur la pelouse, au contact de l’équipe. Le « douzième homme » (femme en l’occurence!) des Dogues. « Je me sentais investie d’une mission de porte-parole auprès des joueurs. »
En trente ans de carrière losciste, Anne-Sophie aura animé plus de 600 matchs, accueilli 11 présidents, dialogué avec une vingtaine d’entraîneurs et inauguré deux stades. Elle aura aussi chanté les noms de centaines de joueurs et fêté l’anniversaire de milliers de spectateurs, le tout dans un style plusieurs fois récompensé par la profession (Micro d’or de la meilleure animatrice de Ligue 2 en 2000, puis de Ligue 1 en 2001 et 2011). Elle aura surtout vibré au rythme de son club, à l’unisson avec les supporters. Comme en 2001, lors de ce fameux Lille-Parme en Coupe d’Europe. « C’était la première participation du LOSC en compétition continentale. On avait gagné 2-0 en Italie. Au match retour, 14.000 personnes avaient fait le déplacement à Grimonprez mais il y avait une telle ambiance… On aurait dit qu’il y en avait 80.000 ! » Impossible également pour Anne-Sophie Roquette d’oublier le doublé Championnat-Coupe de France en 2011. Mais son plus beau souvenir restera sans doute cette soirée du 18 mai 2019, son dernier match au micro du club. « Je n’aurai pas assez du reste de ma vie pour rendre tout l’amour que j’ai reçu pour mes adieux », se souvient-elle, encore émue. Avant de poursuivre : « J’ai fondé une partie de ma famille au LOSC ; c’est au club que j’ai rencontré mon mari. »
« Il faut que les clubs aient le courage de mettre des femmes là où il n’y en n’a pas »
Partie sur « un compte rond », mais surtout pour consacrer plus de temps à ses proches, Anne-Sophie aura un successeur cette année : François Vandeweghe, un Lillois de 35 ans. Si le club n’a pas renouvelé son choix d’une voix féminine, il aura été avant-gardiste sur le sujet et ouvert la voie à d’autres, comme le club de Valenciennes avec Marie Nicodème.
Pour autant, les femmes restent rares dans le milieu. Anne-Sophie n’en n’a pas croisées beaucoup. Elle cite Nathalie Boy de la Tour, présidente de la Ligue de football professionnel, et Corinne Diacre, sélectionneure des Bleues, ex-coach de Clermont (Ligue 2). « J’ai aperçu également quelques arbitres telles que Nelly Viennot, mais souvent cantonnées à la touche. » Ce constat pourrait bien changer cette année avec l’arrivée de Stéphanie Frappart (arbitre centrale) sur les terrains de Ligue 1. « Il faudrait que les clubs aient le courage de mettre des femmes là où il n’y en n’a pas », assène-t-elle. Il aurait été dommage, en 1989, de passer à côté d’« Anne-So » par peur de la mixité. Les supporters lillois vous le confirmeront !
L’ANECDOTE : « Une fois lors d’un match, pendant toute la première mi-temps, je demandais à un propriétaire de véhicule de déplacer sa voiture de toute urgence sinon la fourrière allait le faire à sa place. En fait, c’était la voiture de notre gardien de l’époque, Jean-Claude Nadon, qui lui était dans ses cages ! » (sur France 3 Hauts-de-France)